Hier soir, la Grande Ourse s’allongeait sur le bord de l’horizon. Cassiopée élevait ses fanaux en zigzag de l’autre côté de la Polaire. Véga, l’étoile bleue, brillait au sommet du ciel. Vers l’occident, Arcturus descendait ; entre les deux, on voyait la Couronne et sa Perle. Au levant s’étendait la longue Andromède, d’où tombaient, plus au Nord, les étoiles de Persée, comme un collier rompu. Ces noms sont anciens ; mais ces parures du ciel sont plus anciennes que les noms. Les bergers chaldéens les voyaient comme nous les voyons. En cette saison, à cette même heure, la première de la nuit, Virgile pouvait les voir sortir de la mer ou s’y plonger, comme les avait vues le pilote d’Enée.
Quand on ramène les yeux sur cette terre, où tout a changé, où tout change si vite d’instant en instant, il est impossible qu’un si grand contraste ne secoue pas la pensée jusque dans son fond. Le torrent se déchire sur le roc ; le roc lui-même s’en va en sable ; à peine les pics granitiques montrent-ils, par leur forme, qu’ils résistent à la neige et aux pluies ; mais ces talus calcaires, ventrus, rayés d’argile, on les verrait couler presque comme de l’eau, si l’on vivait seulement un peu plus lentement et si dix siècles valaient une seconde. Nos passions changent comme des reflets sur l’eau, et nos désirs dévorent le temps à venir. Mais si nous regardons de nouveau les étoiles, les temps sont de nouveau abolis, nous voyons l’ordre et l’éternité.
Platon en fut tellement saisi, qu’il enseigna que les dieux nous avaient donné les étoiles pour modèles, afin que nous missions, malgré les choses qui s’écoulent, l’ordre et le repos dans nos idées. S’il parlait en poète, et s’il croyait au fond que c’est nous-mêmes qui sommes des dieux d’un instant, c’est ce qu’on ne peut pas savoir, car il avait l’art de sourire pour les nourrices et les petits enfants pendant qu’il parlait à des hommes. Toujours est-il qu’il exprimait là une grande et profonde idée ; car ce sont certainement les mouvements du ciel qui donnèrent aux hommes la première notion d’un ordre à chercher dans les choses, d’où toute leur puissance et toute leur justice est sortie, tombant ainsi réellement du ciel, mais tout autrement que les prêtres ne le disent.
C’est pourquoi, aujourd’hui encore, c’est au vrai ciel des étoiles qu’il faut suspendre une vie humaine ; sans quoi les caprices des hommes et les cris des enfants nous étourdiraient. Là est le modèle de toute science humaine, et de toute machine humaine, et de toute sagesse humaine. Là regarde le législateur des cités, et le législateur de lui-même, et le poète, et la vieille bonne femme aussi. Tous cherchent la même chose ; les uns quelque Dieu arbitre, les autres quelque Loi, tous le sceptre humain et la couronne humaine, chacun comme il la voudrait. Les uns regardant les images, et les autres lisant.
15 septembre 1909