Les fêtes du printemps sont de nature, et l’institution n’y a guère ajouté que des métaphores. L’idée de mort et de résurrection se retrouve chez tous les peuples, exprimant en même temps cet achèvement de l’hiver, les feuilles pourries et redevenues terre, les arbres dénudés, et aussitôt le réveil des forces végétales. C’est pourquoi toutes les cérémonies du monde, en ce temps-ci, imitent la mort et la renaissance ; et que le langage soit toujours humain, cela ne doit pas étonner; c’est la métaphore essentielle. Je vois point de ne superstition dans la religion, ni la moindre erreur, à bien regarder. Ou bien alors il faudrait dire qu’Homère se trompe ou nous trompe, disant que les générations des hommes sont comme les feuilles des arbres. Les palmes et le buis des Rameaux sont des signes, et la messe de Pâques aussi.
La lune est par elle-même un signe de mort et de recommencement. Surtout dans les pays où le ciel est souvent clair, le retour de la lune fut célébré à grands cris comme le signe que rien n’est irrévocable et que tout recommence; ce signe n’a jamais été trompeur ; et les astronomes savent mieux cela que les ignorants, puisque la période courte de la lune est liée à des périodes plus longues dont dépend toute notre vie terrestre ; le fidèle retour de la lune était donc le signe du fidèle retour des saisons, et l’expression la plus frappante de l’ordre astronomique; aussi le culte de la lune exprima une idée juste, non point démentie par la suite, mais au contraire confirmée. La lune en son croissant et décroissant représente toute croissance et décroissance. À chaque lune nouvelle l’esprit d’entreprendre et d’espérer se trouvait ranimé ; et au contraire la lune finissante inspirait la temporisation et la patience, enfin une sorte de carême mensuel ; dont il reste des traces jusque dans les soins à donner aux vins, car beaucoup disent qu’il ne faut point embouteiller ni soutirer en décours. Or ces pratiques, qui sont de superstition, et non de religion, enferment encore cette utile sagesse qui prescrit de régler toutes les actions humaines d’après les signes du ciel. L’astronomie débrouille seulement cette grande idée, sans l’altérer essentiellement, joignant les signes lunaires aux signes solaires.
D’après ces anticipations précieuses, la lune pascale devait être sacrée entre toutes, puisque avec ce croissant d’équinoxe on voyait réellement toutes choses croître, en même temps que le rouge-gorge, le merle et le pinson annonçaient tous les autres chants. C’est pourquoi cette lune, arrivée à son plein, fut le signe par excellence; et les deux divinités du ciel, alors réconciliées, fixèrent la fête du printemps bien avant que l’Église eût dressé le Comput, qui est le calcul de ces rencontres entre la lune des bourgeons et le soleil équinoxial. Que l’homme ressuscite alors, et se reconnaisse Dieu, ce n’est que mimique et danse réglée, qui exprime, redouble et confirme l’allégresse universelle, en même temps qu’elle la tempère. Car il n’y a que les faunes et chèvre-pieds qui dansent sans mesure et au premier rayon ; ce sont des êtres sans mémoire et sans archives, qui n’ont pas remarqué la loi périodique, et les vrais signes du recommencement. Et ces formes imaginaires représentent bien des hommes encore pris dans l’animalité, et qui ont, en quelque sorte, les pieds plus prompts que la tête ; enfin qui vont danser comme les fleurs s’ouvrent au moment où les oiseaux chantent. Et cela est la vérité de la nature, non de l’homme. C’est pourquoi ces métaphores sont belles aussi, et vraies aussi, mais pour l’homme. Seulement les chèvre-pieds n’en savent rien ; ils dansent !
2 avril 1923