Philosophe Alain

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Jaurès, Gide, Valéry, Gracq, Weil…,ce qu’ils ont dit d’Alain

Jean Jaurès, par Nadar, 1904

JEAN JAURES

« Quel penseur que ce sauvage ! Avez-vous jamais lu quelqu’un qui, de gré ou de force, vous fasse autant penser ? »
« J’ai lu ce matin une moitié de la 2e série des Cent-un Propos. C’est pour moi un éblouissement. »
« [Les Propos] sont des notes rapides sur les sujets les plus variés, et j’y trouvai un sens si tranquille et si pénétrant de la réalité, une telle force d’observation et d’analyse, une attention si exacte de n’être jamais dupe des apparences et des fictions, et en même temps un style si sûr, si souple, si pénétrant, que j’éprouvai un enchantement d’esprit. »
« Comment se fait-il que j’aie ignoré ces joyaux ? »
« Les Propos me paraissent, à bien des égards, un des chefs-d’œuvre de la prose française. »

 

ANDRE GIDE

« Je lis certains Propos d’Alain avec une admiration très vive. »

André Gide, Journal, 1923

 

PAUL VALERY

« ALAIN, de qui la prose forte et fine dit tout ce qu’elle veut et, contraire aux vrais vers, veut tout ce qu’elle dit. »

Valéry, Paul, La jeune Parque, commenté par Alain, Paris, NRF-Gallimard, 76 pages, 1936 ; rééd. 1953

 

SIMONE WEIL

Weil confiait à Gilbert Kahn, en 1941, :« Il y a une part de [la] pensée [d’Alain] que j’ai assimilée au point de ne pouvoir la distinguer de ma propre pensée, et une autre que j’ai rejetée ».

Dans une lettre à Alain, de mai 1941 :« [J’ai] une conscience extrêmement claire de tout ce je vous dois ; et je vous devrais plus encore si j’étais moi-même davantage. » (« Lettre à Alain », Cahiers Simone Weil, II 4, déc. 1979, p. 178)

 

JULIEN GRACQ

« (…) l’autre chose qui me surprenait beaucoup, je venais de province, c’était que la cloison entre la philosophie et la littérature sautait. On expliquait chaque année un philosophe, ça devait être Hegel, et puis, en même temps, on expliquait un écrivain : c’était Balzac cette année-là. On passait de l’un à l’autre, on s’habituait à faire sauter les cloisons scolaires ou universitaires qui les séparent. Alors c’était extrêmement excitant. Il y avait un élément de nouveauté qui, pour moi, était tout à fait frappant, et puis il y avait chez Alain l’image d’un homme complet : c’était un… pas un colosse, mais enfin, c’était un personnage grand, puissant…un Normand ; il avait fait la guerre ; il donnait une impression de présence physique tout à fait considérable, et puis d’un énorme équilibre aussi. Oui, il était solide sur ses jambes et il donnait l’impression d’être à peu près inébranlable, en n’importe quelles circonstances. Alors, c’était à la fois un professeur remarquable, un virtuose, un penseur aussi, mais c’était aussi un type humain assez exemplaire ; ça m’a frappé. »

Ci-après l’audio de l’émission où Gracq s’exprime :

 

RAYMOND ARON

« Encore aujourd’hui, quand je relis les derniers Propos avant son engagement, ou son appel aux ennemis en 1917, je tremble de respect devant la grandeur. »

 

ROGER MARTIN DU GARD

« Ce que la pensée française a peut-être produit de plus pur depuis le dix-huitième siècle. »

 

ROMAIN ROLLAND

« [Mars ou la guerre jugée] est le livre le plus viril qui ait été écrit sur la guerre. Livre vengeur et destructeur de miasmes, par la seule force de la lumière. Livre, qui tout en mettant Mars au pilori, « n’offense ni la Patience, ni le Courage, ni la Justice ».

J’admire votre riche observation de l’âme ; vous êtes un des rares hommes, mon cher philosophe, qui ajoute, pour moi, au spectacle de la nature humaine, — en m’aidant à la comprendre. »

 

JEAN HYPPOLITE

« Il y a dans les Propos sur l’éducation une profonde théorie de la nature humaine qu’on chercherait en vain dans l’existentialisme de J.-P. Sartre »

Jean Hyppolite, Figures de la pensée philosophique, PUF

« Bergson et Alain, ces deux grands esprits qui se sont méconnus et qui dominent sans doute, à des titres divers, toute la philosophie française contemporaine. »

«  Alain et les dieux » in  Figures de la pensée philosophique, Jean Hyppolite, Tome II, p 543, PUF, 1971

« La théorie de l’imaginaire d’Alain a inspiré toute la pensée de Sartre »

 «  L’existence, l’imaginaire et la valeur chez Alain » in  Figures de la pensée philosophique, Jean Hyppolite, Tome II, , p 518,  PUF, 1971

 

MAURICE MERLEAU-PONTY 

« Il y avait chez Alain d’un côté une sagesse, qu’il enseignait comme il enseignait tout ce qu’il avait dans l’esprit, bien entendu. Cette sagesse par exemple dans l’ordre pratique et politique, conduisait à des positions très définies, très arrêtées. Et il y avait d’autre part une sympathie entière, absolue, pour tout ce qu’on peut appeler la grande philosophie, y compris et au premier rang Hegel, y compris aussi Auguste Comte, qui était en apparence un esprit très opposé à Alain et qu’en réalité Alain a fait connaître mieux que personne. De sorte que son influence est double : il y avait à la fois cette sorte d’éclair de jugement qui était toujours présent et qui portait sur les événements du jour aussi bien que sur le passé, et il y avait d’autre part toute cette grande tradition de culture  qu’il représentait et qu’il livrait à ses élèves. (…)

Oui, je trouve la définition tout à fait juste. Et pour donner un exemple qui, je crois, matérialise la nouveauté de cette philosophie, ou enfin qui la fasse sentir vivement, je prendrais l’exemple suivant : il y a un problème, qui est depuis toujours un problème philosophique, mais qui n’a paru sous une forme explicite qu’avec les phénoménologues et avec les existentialistes et qui est le problème d’autrui. Voilà un problème dont par exemple Bergson n’a que je sache jamais dit un mot, un problème dont Brunschvicg n’a jamais dit un mot. Pour Alain, ça serait beaucoup moins sûr. Alain est à certains égards beaucoup plus près des problèmes de situation que les deux autres philosophes que nous venons de nommer. »

Entretiens avec Georges Charbonnier , Verdier, 2016

 

ANDRE MAUROIS

« J’ai connu peu de grands hommes, j’entends sans la moindre paille dans le métal. On les pourrait compter sur les doigts d’une main. Le philosophe Alain est l’un de ceux-là, et nous sommes assez nombreux à le savoir, qui fûmes ses élèves ou ses lecteurs.
Qu’exigeait celui-là et quel serment fallait-il prêter à cette grande âme ?
Je pense que ce serment tient en un mot : espérance. Alain nous demande d’avoir confiance en l’homme, ce qui conduit à respecter ses libertés ; confiance en notre esprit pour aller, d’erreur en erreur, vers la vérité ; et confiance en notre volonté pour trouver des passages à travers l’immense univers des forces qui, lui, ne veut rien. Qui sait à la fois douter et croire, douter et agir, douter et vouloir est sauvé.

Des écrivains de ce siècle, qui durera ? Pour la plupart, je n’oserais répondre. Mais je suis certain de celui-là et ne demande pour moi d’autre gloire, parmi nos arrière-neveux, que d’avoir annoncé la sienne ».

André Maurois, Alain, éditions Domat

 

GEORGES STEINER

« Sa présence fut sans conteste éminente dans l’histoire morale et intellectuelle de l’Europe. Son influence imprégna l’enseignement français et des éléments significatifs du corps politique de 1906, année de la réhabilitation de Dreyfus, à la fin des années 1940. Sa prose se distingue par une économie et une clarté inégalées. Son intégrité stoïque envoûta des générations d’élèves et de disciples. La comparaison avec Socrate est devenue routinière. Alain était le « sage dans la cité », le « maître des maîtres ». Outre des écrits philosophiques et politiques, outre des essais sur les arts et la poésie, comme son éclaircissement de La Jeune Parque, de Valéry, Alain publia des réflexions autobiographiques. Histoire de mes pensées, de 1936, est un joyau. De même que ses méditations sur la guerre, dans Mars. »

George Steiner, Maîtres et disciples, Gallimard, 2003

« La France a une tradition magnifique de penseurs qui sont aussi parmi les plus grands écrivains, et de grands écrivains que tout philosophe doit prendre en compte. Et là – vous allez rire parce que cela fait très vieux jeu – je me réclame de la pensée d’Alain, qui reste intensément présente pour moi. Lui aussi a toujours dit : « Lire Stendhal ou Balzac, c’est faire de la philosophie. »

George Steiner Un long samedi, p 85, Flammarion, 2014

 

ROBERT MAGGIORI

« Nietzsche philosophait à coups de marteau. Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), eût choisi le fusain, quelque fin portemine ou plume d’oie, si elle n’avait pas grincé. Tout lui était prétexte à faire de la philosophie, silencieuse et tranquille, mais il voulait – comme il sied à un danseur de ne pas laisser voir  dans ses arabesques le travail à la barre qui les prépare – que rien n’apparût de ce qui rend la philosophie identifiable, l’appareillage conceptuel, les références, la systématisation des idées, le gymkhana de la pensée. Aussi, condensées d’écriture et grains de sagesse, l’a-t-il livrée en de célèbres Propos – en risquant, il est vrai, d’être pris par les doctes pour un journaliste, un essayiste, ou, au mieux, pour un moraliste. »

« Quand le danseur est étoile, il ne laisse pas voir dans ses arabesques légères le lourd travail à la barre qui les prépare, ni l’entraînement forcé, la fatigue et les crampes. Pour Alain, de même : voulant que rien n’apparût de ce qui rend la philosophie identifiable – l’appareil conceptuel, les références aux autres philosophies, la mise en système des idées, les procédures argumentatives – il livrait de pures perles de sagesse qui paraissaient ne venir d’aucun atelier, semblables à ces microsculptures qu’une lame chirurgicale extirpe d’une allumette, d’une tête d’épingle ou d’un grain de riz. On y vit joliesse et petitesse, œuvrettes d’un journaliste, d’un essayiste, ou, au mieux, d’un moraliste, point d’un philosophe »

 

JEAN PAULHAN 

Ce qui frappe d’abord chez Alain, c’est la bonne santé : il a l’œil vif, la taille haute, le teint coloré. Il est de bonne humeur. Il donne envie de vivre. Ce n’est pas si commun chez les philosophes. Il dit de lui-même : « j’ai la forme percheronne. Si vous voyagez de Nogent-le-Rotrou à Argentan, vous me rencontrerez plus de cent fois. »
Donc, Alain est normal. Attention ! Je ne veux pas dire banal. C’est le contraire. Un de mes amis souffrait des yeux. L’oculiste qui l’examinait lui dit : « vous avez des yeux parfaitement normaux. » Il ajouta : « voilà qui est étrange. Ça n’arrive pas une fois sur des millions. »
Alain, lui non plus, n’arrive pas une fois sur des millions. Il n’est pas seulement normal, il sait ce que c’est que d’être normal. Voilà un savoir qui ne se laisse pas mettre en formules ni en système. Mais il suffit, pour l’évoquer, de rappeler les maximes favorites d’Alain. Par exemple :

Sur les pessimistes :
Il y a des gens malheureux parce que les étoiles sont trop loin.
Sur le devoir des citoyens :
Ordres et libertés sont corrélatifs. Obéir en résistant, c’est tout le secret.
Ou encore :
La liberté meurt si elle n’agit point.
Sur l’éloquence :
Les mots permettent tout, et les maisons s’envolent.
À ses élèves :
À qui me demande comment travailler, je réponds : travailler.
Et :
Surtout, ne réfléchissez pas. Écrivez !
Sur la réflexion :
On n’est jamais assuré de retrouver les idées où on les a laissées. Au contraire, il les faut chaque fois réinventer.

Que veut-il dire, que montre-t-il par son exemple ? Ceci : c’est que rien pour l’homme n’est jamais acquis, ni pensée, ni science, ni technique ou société. C’est que tout est à recommencer.
Eh bien, c’est par là qu’Alain est normal et, si je puis dire, populaire. Quand une petite fille va au bal pour la première fois, elle est loin de songer qu’en effet elle va au bal pour la première fois. Il lui semble, dans un transport de bonheur, qu’elle est la première petite jeune fille de tous les temps à qui il soit donné d’aller au bal.
Si vous lisez Alain, vous verrez très vite que telle est notre chance à tous, et la grandeur de notre destin : c’est que le monde, quoi qu’on dise, n’a pas encore été créé. C’est qu’il nous a attendus.
Jean Paulhan, 1952.

 

OLIVIER POURRIOL

(…) Alain est un philosophe. Un philosophe qui mérite d’être étudié comme tel, pas simplement pour ses formules souvent proposées comme sujets de bac, ou pour ses études introduisant à Spinoza, Platon, Descartes, Comte ou Hegel, reflets écrits de son talent de professeur. C’est un philosophe difficile, que la beauté de son style a souvent fait passer pour un écrivain égaré dans le concept, comme si Rousseau n’avait pas déjà donné l’exemple d’un philosophe sachant écrire.

Olivier Pourriol, Alain, le grand voleur, le livre de poche, 2006

 

ANDRE COMTE-SPONVILLE

« Où davantage de beauté ? Où davantage de vérité ? Où davantage d’humanité ? Certains jugeront étrange qu’Alain soit si souvent méconnu ou oublié, du moins dans les salons, quand cuistres, sophistes ou faiseurs ne cessent au contraire d’occuper le devant de la scène. »

André Comte-Sponville, Du tragique au matérialisme et retour, PUF 2015

 

Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, 1951

Né en 1868, Alain est décédé le 2 juin 1951. Tous ses élèves, dont certains sont devenus célèbres, s’accordent à reconnaître ce qu’ils lui doivent : depuis sa sortie de l’École normale en 1889 jusqu’à sa retraite en 1938, il a enseigné dans les lycées et finalement au lycée Henri- IV.
Alain n’appartient pas à la tradition des bâtisseurs de système, mais à la tradition critique, celle de Chamfort, par exemple : prendre une conscience nette de tous les événements, de toutes les idées, à part les unes des autres, sans s’égarer dans des conclusions générales, telle était sa
méthode. C’est ainsi, par exemple, qu’il a renouvelé l’esthétique dans le Système des Beaux-Arts, en analysant directement les procédés des artistes ; c’est ainsi que, dans Idées; il juge la pensée de Platon, d’Aristote, de Descartes, de Comte, de Hegel par un commerce direct avec eux. Il n’est pas un domaine de la vie ni de la pensée qui lui ait échappé,qu’il s’agisse du bonheur ou des passions, de la religion ou de la guerre. Il aura été une des grandes figures de la pensée française dans la première moitié du siècle.

Anonyme, « Alain (Emile Chartier) », Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, 1951, vol. 141, p. 633‑633.

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