
1. L’imaginaire et les dieux
Comment peut-on penser ce qui n’est pas ? Cette question que Platon pose après Parménide n’a pas fini de nous étonner, car enfin nous sommes pris dans ce qui est, et nous ne devrions pas en sortir. Le monde est là qui nous apparaît, et il nous apparaît comme il doit nous apparaître, c’est-à-dire selon les exigences de notre situation spatiale et temporelle. C’est notre corps qui exprime le point de vue qui est le nôtre dans ce monde. L’erreur, qui, selon Spinoza, n’est rien de positif, tient seulement à ce que nous ignorons notre propre point de vue, ou n’en tenons pas compte. Le bâton qui nous apparaît brisé, et il doit nous apparaître ainsi, si nous tenons compte de la réfraction des rayons lumineux lorsqu’ils passent de l’eau dans l’air et viennent frapper notre œil comme s’ils venaient d’un certain point où nous situons l’extrémité du bâton. Le soleil est vu plus proche qu’il n’est réellement, et avec des dimensions qui ne sont pas les siennes. Toutefois il ne peut être vu autrement, même quand nous avons rectifié notre premier jugement. L’apparence est toute vraie, comme dit Alain ; le jugement véritable que nous formons sur elle ne la détruit pas, ne l’empêche pas d’apparaître comme elle apparaît ; il l’explique seulement et la loi des apparences qui fait l’unité de l’objet est proprement ce qui rend compte du changement de ces apparences selon les variations de notre corps, ou selon le point de vue qui est le nôtre hic et nunc.
On rougit un peu de rappeler ces évidences scolaires, il faut pourtant y revenir, avant d’aborder ce redoutable sujet de l’imaginaire, c’est-à-dire le sens de nos rêves ou de nos rêveries qui paraissent ajouter aux apparences elles-mêmes, et créer comme un autre monde différent de celui dans lequel nous vivons. « Car, ce qu’il importe de remarquer, nous comprenons que l’apparence du monde, même dans les plus vives émotions, est toujours la même et toute vraie » (Les Dieux). Nous n’arrivons jamais à changer la moindre chose dans ce que nous voyons. Lorsque l’enfant effrayé entend quelque bruit dans le silence de la chambre, discerne quelque ombre dans la semi-obscurité, il n’ajoute rien aux bruits existants ou aux formes visuelles ; il ne crée rien ; pourtant sa propre émotion fausse son jugement, il croit voir et entendre ce qu’il ne voit point et n’entend point. Il juge faussement, il se prépare à voir et à entendre autre chose que ce qui apparaît, mais cette autre chose qui n’apparaît pas et qui est attendue, c’est là l’objet ambigu de l’imagination, un objet qui ne sera jamais donné, un invisible qui ne sera jamais vu en effet et qui est le vrai de l’imagination qui n’est pas la même chose que le vrai de l’apparence.
Le vrai de l’imagination, c’est ce qu’Alain a recherché tout au long de sa méditation, dans ses chapitres sur les passions, ou dans ses réflexions sur les beaux- arts ou les dieux, peut-être même dans ses études sur les philosophes : Platon, Descartes, Hegel, Comte. Il faut donc, si l’on veut reprendre cette pensée si vivante, si variée et si une à la fois, prendre ce thème comme fil conducteur et en montrer toute l’importance. C’est une croyance commune et qui a fini par passer dans un certain sens commun philosophique, qu’il existe un monde intérieur des images, un monde du rêve redoublant le monde perçu. Nous percevrions le monde, et puis nous reproduirions en nous plus ou moins bien ces perceptions. Notre mémoire serait ainsi comme un album de photographies que nous pourrions feuilleter à loisir dans les rêveries errantes sur notre passé. Les images, ces objets mentaux, moins vifs que les perceptions réelles, pourraient cependant les recouvrir, et les psychologues de jadis ont décrit des hallucinations dans lesquelles les images auraient la force et la vivacité d’une perception. Ce monde intérieur des images viendrait sans cesse se mêler au monde perçu sur lequel il serait projeté et l’erreur naîtrait de la confusion de ces deux mondes.
Cette théorie de l’image objet mental n’est plus très en vogue aujourd’hui, et Alain a contribué plus que tout autre à sa disparition ; mais elle n’en répond pas moins à une illusion tenace. Nous croyons bien voir un serpent dans ce morceau de bois ou un homme dans ce tronc d’arbre noueux, nous suivons dans les nuages le fil de nos rêveries et nous imaginons que nous voyons dans ces formes mobiles une armée qui s’organise. Que voyons-nous en fait ? Rein d’autre, rien de plus que les apparences mêmes, et encore une fois nous n’y pouvons rien changer ; mais nous croyons voir, nous jugeons que nous voyons ce qu’en fait nous ne voyons pas.. Nous parlons, nous disons ce que nous croyons voir, et en parlant nous créons un nouvel objet, réel cette fois-ci, qui supporte tout l’imaginaire, le monde des récits. Alors se pose à nouveau cette question platonicienne : « Comment peut-on penser ce qui n’est pas ? Quel est ce non-être, cet invisible, cet envers du monde perçu, qui ne sera jamais donné, et que nous sommes toujours sur le point de voir, de percevoir, d’atteindre ? Quelle est la vérité de l’imaginaire ? »
On se hâterait trop en disant que la théorie d’Alain sur l’imaginaire est toute négative. Elle refuse l’image objet mental, et en fait une perception fausse ; au lieu de l’objet réel qui correspond à un jugement vrai, je constitue les données sensibles en fantômes, mais ces fantômes ne sont jamais perçus, ils ne sont pas, ni dans le monde, ni dans l’esprit, nous y croyons seulement et nous y croyons parce que nous sommes dupes de nos émotions. C’est l’émotion qui entretient notre croyance en ces fantômes, et l’émotion dispose l’âme à vouloir ce que le corps commence déjà d’entreprendre. Ainsi la peur, la colère, l’amour ajoutent aux apparences non une nouvelle apparence, mais une attente d’apparence, un au-delà des apparences, un invisible, qui est presque donné, puisque j’y crois et même déjà le nomme. Ce sont les dieux, et l’on a bien raison de dire que notre corps est le tombeau des dieux, entendant par-là que toute superstition, toute croyance en ces fantômes, doit disparaître quand nous avons décelé, avec toute la sévérité de l’entendement, les mouvements passionnés de notre corps qui nourrissaient nos croyances. Ainsi Lucrèce a prétendu nous délivrer définitivement de ces fantômes terrifiants qui interviendraient dans notre vie.
Mais la théorie d’Alain n’a pas ce caractère exclusivement négatif. Il y a bien un mystère de l’invisible, seulement ce mystère qui est le terme suprême de l’imaginaire n’est que le mystère de notre pensée, de notre liberté. C’est faussement que nous croyons le trouver dans le monde, il est en nous, et tout le mouvement des religions n’est que de nous reconduire à nous-mêmes, à l’esprit qui crée ces dieux, puisqu’il ne peut les voir. Cet autre monde de l’imaginaire que nous superposons au monde perçu et qui n’est jamais perçu effectivement, il est créé par l’esprit, il se réalise dans nos récits, dans nos poèmes, dans les temples et dans les autels. Il y a bien aussi un vrai de l’imaginaire, et ce vrai est œuvre de l’homme. Ces dieux qui ne sont pas, par nous finissent par être ; ils sont notre œuvre et c’est dans cette œuvre seule que nous devons nous reconnaître et reconnaître en nous l’esprit. On voit toute la difficulté de cette théorie de l’imaginaire chez Alain. Elle n’est pas seulement une critique qui dénonce un jugement faux et l’explique par nos passions, elle aperçoit encore dans ce jugement faux une partie positive, une œuvre qui s’actualise, un monde humain qui se crée sans cesse et dont la vérité doit être découverte. Ainsi Alain a écrit Les Dieux qui sont tout à la fois une critique et une justification de la religion. Cet autre monde qui est une fiction, nous devons apprendre qu’il a un sens dans ce monde ci, qu’il en évoque l’idée créée par l’esprit jugeant. Mais cette idée, œuvre du jugement, c’est la philosophie même telle que, selon Alain, Platon l’a conçue. Ici est peut-être le sens des religions et toute la divine comédie est en la moindre de nos pensées, car il faut savoir qu’il n’y a plus rien de faux dans les ombres dès qu’on y voit les idées, et c’est ce monde ci qui est le plus beau et le plus vrai, et bien mieux, qui est le seul. Le sage est celui qui sauve jusqu’à ces ombres et sa propre ombre (Idées). Hegel avait écrit en cherchant le sens des mythologies : « Il faut justifier l’homme. » Ainsi fait Alain avec les dieux. Ce second monde superposé au premier n’est pas seulement l’empire de l’erreur, il n’exprime pas seulement nos jugements faux sur les apparences ; si l’on veut bien l’entendre il contient encore une vérité, on en peut dégager l’idée, et c’est cet effort pour saisir le positif du négatif qui exprime toute la pensée d’Alain sur les beaux-arts et la religion.
Notons d’abord ce thème de l’invisible, cet envers du monde qui est comme le terrain de l’autre monde, et cette marge de ce qui n’apparaît pas derrière ce qui apparaît. « Il faut saisir maintenant, s’il se peut, le vrai de l’imaginaire qui n’est rien. Car ce dessous de la vision, cette énigme de la vision, c’est toute la vision. Quand j’écoute le voleur supposé derrière la porte, j’entends son souffle par la serrure, et ce souffle est le mien. Mais le voleur que je n’entends pas est le plus redoutable » (Les Dieux). Et encore : « L’occulte, cette âmes des religions, ne paraît jamais, il est l’extrême du redoutable. » Cet invisible, cette absence absolue est ce que, si l’on peut dire, nous ajoutons à l’être et qui nous permet de le transformer : « Les dieux refusent de paraître et c’est par ce miracle qui ne sait jamais que la religion se développe en temples, en statues et en sacrifices. » Mais ce mystère de l’invisible, c’est nous-mêmes, comme nous l’apprendrons peu à peu en allant de la religion de la nature à la religion de l’esprit, de Pan à Christophore. « Car, ce qu’il importe de remarquer, nous comprenons que l’apparence du monde, même dans les plus vives émotions, est toujours la même et toute vraie. Par quoi nous formons sans aucune complaisance à nous-mêmes cette notion de l’invisible qui est principale dans notre sujet et sur laquelle je reviendrai plus d’une fois. Oui, nous cherchons notre propre émoi dans cette même image irréprochable où le physicien prendra ses mesures, nous demandons compte à cette image d’un intérêt démesuré, et cette image ne peut répondre. C’est là que nous formons cette présence cachée et embusqué et ce mystérieux envers de la chose qui nous fait croire que tout est plein d’âmes, ou comme disait Thalès, que tout est plein de dieux » (Les Dieux). C’est nous qui peuplons l’univers de dieux, et ces dieux ne nous renvoient, si nous savons les comprendre, que le reflet de nous-mêmes, c’est-à-dire de l’esprit. Il faut donc suivre cette dialectique des religions, cette logique de l’erreur qui est le vrai de l’imaginaire et qui fait de l’erreur même la forme d’une vérité plus haute. Ainsi l’esprit se découvrira par le détour de ses propres erreurs et c’est lui seul qu’il trouvera, lui seul comme esprit jugeant. Mais cette erreur qui est dans l’imaginaire, il faut la poursuivre parce qu’elle se dérobe sans cesse comme son objet « et, comme je l’ai éprouvé en poursuivant l’étude des arts, l’imagination recule toujours et se dérobe ». Toutefois c’est la leçon d’Alain de méditer sur nos erreurs. La vérité, dit- il, nous trompe sur nous-mêmes, l’erreur nous instruit bien mieux, et, en langage hégélien, « l’erreur est la forme de la découverte qui suit, l’idée fausse étant conservée en même temps que dépassée ».
En partant de l’imaginaire qui se développe en œuvres, nous pourrions nier le monde des dieux, l’autre monde, et revenir à la pensée austère de l’entendement qui saisit l’erreur nue pour la faire disparaître, mais en un certain sens nous pensons quand même ce qui n’est pas ; ces erreurs sont donc en quelque mesure. Qu’expriment-elles ? Et c’est en suivant cette logique de l’erreur, en comprenant ces erreurs mêmes que nous les dépassons et trouvons le vrai des religions.
2 La logique de l’erreur
Cette expression de logique de l’erreur, dont se sert Thibaudet dans son beau livre sur Bergson, peut s’entendre de deux façons : d’une part il semble que l’erreur soit comme une prolifération à partir d’un certain germe ; quand le philosophe a atteint l’idée vraie, quand il découvre par ailleurs derrière lui ce germe d’où naît l’erreur, il peut montrer comment elle se développe et pour ainsi dire d’engendre elle-même. Ainsi Spinoza dans l’appendice du premier livre de l’Éthique, ayant vu dans l’anthropomorphisme la source de l’erreur, en indique le développement quasi nécessaire. Mais d’autre part l’erreur est aussi bien la forme préliminaire du vrai, elle ne contient rien de positif, avait justement dit Spinoza, plutôt ce qu’elle a de positif est déjà vérité ; comprendre l’erreur c’est la dépasser, mais c’est aussi la justifier d’un point de vue supérieur. Au lieu d’opposer dans ce cas la vérité à l’erreur comme l’être au néant, il convient de suivre la genèse de l’erreur, et il faut apercevoir dans cette genèse la vérité cachée. Le sens de l’erreur est sa transformation en vérité. C’est bien en ce double sens qu’on peut parler d’une logique de l’erreur dans le livre d’Alain sur les dieux. Quand on réfléchit sur les religions, il semble, comme le dit Bergson, qu’on se prenne à douter de la rationalité de l’homme. « L’homo sapiens, seul être doué de raison, est le seul aussi qui puisse suspendre son existence à des choses déraisonnables », et encore : « Le spectacle de ce que furent les religions et de ce que certaines sont encore est bien humiliant pour l’intelligence humaine. Quel tissu d’aberrations! L’expérience a beau dire « c’est faux » et le raisonnement « c’est absurde », l’humanité ne s’en cramponne que davantage à l’absurdité et à l’erreur. Encore si elle s’en tenait là ; mais on a vu la religion prescrire l’immoralité, imposer des crimes. Plus elle est grossière, plus elle tient matériellement de place dans la vie d’un peuple. Ce qu’elle devra partager plus tard avec la science, l’art, la philosophie,, elle le demande et l’obtient d’abord pour elle seule. Il y a là de quoi surprendre quand on a défini l’homme un être intelligent »
Cette longue citation était nécessaire pour poser dans toute son extension ce problème des dieux tel que l’expose Alain dans son œuvre. Comme le fera Bergson, il se refuse à distinguer absolument une mentalité primitive sur le compte de laquelle on mettrait toutes les superstitions, et une mentalité logique qui serait la nôtre. Il ne suit même pas Hegel dans l’idée d’un développement à la fois dialectique et historique des religions. Pour lui, toutes les religions, même les plus primitives, sont conservées dans une seule : « Je veux seulement expliquer que si l’on nomme Dynamique la science du changement, et Statique la science de l’immobile, je me propose d’essayer une Statique des religions et non pas du tout une histoire… J’apaise d’abord en moi la querelle sans fin de la Dynamique et de la Statique par cette remarque qu’il faut d’abord trouver son problème dans une histoire sommaire et tout anecdotique, et puis construire ses théorèmes vaille que vaille, afin de revenir à une histoire plus géographique et à une géographie plus géologique, comme on a fait déjà pour les choses inanimées. Cette autre géologie expliquera donc les religions par la structure de l’homme, autant que faire se peut, et devrait nous apprendre d’un côté à les faire toutes vivre ensemble, et de l’autre à dessiner à l’état de pureté les plus hautes valeurs connues » (Les Dieux) . Bergson s’efforce aussi de dépasser l’histoire dans cette explication de dieux : « L’observation des primitifs pose inévitablement la question des origines psychologiques de la superstition, et la structure générale de l’esprit humain – l’observation par conséquent de l’homme actuel et civilisé—nous paraîtra fournir des éléments suffisants à la solution du problème. » Là s’arrêtera notre comparaison entre Bergson et Alain, ces deux grands esprits qui se sont méconnus et qui dominent sans doute, à des titres divers, toute la philosophie française contemporaine.
C’est donc une analyse structurale et non historique que tente Alain pour découvrir cette logique de l’erreur dont nous avons parlé et comme cette incessante naissance des dieux à partir de l’imagination humaine. Nous avons vu la difficulté de saisir le vrai de l’imaginaire, qui n’est jamais donné, et la création par l’homme de ces œuvres qui se substituent à l’éternel absent. Les dieux sont à la rencontre de cette absence et de cette création, ils sont parce que nous les faisons, comme on fait une œuvre d’art, mais ils sont aussi parce que nous les attendons, qu’ils se refusent à paraître et sont comme le dessous de la vision ; ainsi l’histoire d’Eurydice énonce bien l’ambiguïté de cet objet que nous croyons voir. Toutefois Alain nous répète sans cesse qu’il faut aller lentement et revenir sur cette naissance des dieux. Ainsi il aperçoit la source de l’erreur et sa prolifération inévitable, mais au lieu de s’arrêter à cette dénonciation de l’erreur pour lui opposer la sèche vérité de l’entendement comme le font l’Aufklärung et le rationalisme du XVIIIe siècle, il voit dans l’erreur la forme d’une vérité, il se refuse à séparer radicalement l’ivraie du bon grain. C’est en prenant la religion comme elle se donne qu’il élabore l’idée vraie. En ce sens l’erreur vaut mieux qu’une vérité nue : « En quoi je ferai bien attention de conserver la religion comme telle, me fondant toujours sur ce qui a été dit et raconté et prêché. Un canonnier me demandait un jour ce que je pensais des religions ; il était pieux et voyait bien que je ne l’étais guère. Je lui fis une réponse de premier élan, et qui me paraît encore bonne ; « La religion, dis-je, est un conte qui, comme tous les contes, est plein de sens. Et l’on ne demande point si un conte est vrai. »
En quoi consiste donc ce germe de l’erreur et cette source des contes qui ont charmé notre enfance. Précisément ils disent l’enfance même qui est un moment de l’homme, un moment qui se prolonge en bourgeoisie ou enfance continuée. Nous tenons là une des analyses les plus précieuses d’Alain. Descartes avait déjà enseigné que « nous avons été enfants avant que d’être hommes » et on ne méditera jamais assez sans doute sur cette profonde réflexion. L’enfance nous a marqué, elle est notre préhistoire, et le mouvement par lequel nous sommes devenus adultes est toujours à refaire, car nous risquons sans cesse de retomber à l’enfance. Nos passions nous y ramènent. Il faut donc comprendre l’enfance et y voir comme un moment de l’homme, un moment qui se perpétue dans cette vie sociale, ou proprement bourgeoise, dans laquelle nos rapports avec les hommes se substituent au dur rapport avec les choses.
Enfance, bourgeoisie, l’idée est facile, trop facile et c’est pourquoi il faut la reproduire sans cesse, la soutenir par des fictions et des mythes, comme l’histoire de l’âge d’or, ou des géants qui faisaient vivre les hommes, ou de Gulliver ; alors nous pensons l’idée, nous la jugeons, en lui enlevant ce caractère habituel, ce caractère de trop connu qui empêche de la remarquer. L’enfance est cette période de la vie humaine où nous vivons sans travail, où tout dépend de nos rapports avec nos parents. C’est une vision magique du monde que ramènent nos émotions : « Ce genre d’existence où les hommes ne savaient jamais s’ils étaient maîtres ou esclaves dura fort longtemps, de façon que la coutume de demander, d’espérer, de compter sur plus fort que soi laissa dans la nature humaine des traces ineffaçables. » Les contes disent bien cette magie, et le titre qu’Alain a donné à cette première analyse, Aladin, évoque la lampe merveilleuse. L’enfant parle et prie, il obtient tout par ses paroles et ses prières. En bref la grande affaire dans l’enfance était de plaire, et d’abord de ne pas déplaire à des maîtres incompréhensibles qui pourtant semblaient avoir la charge de nourrir les hommes, de les transporter, et qui finalement s’acquittaient de ces soins, mais toujours en se faisant prier. Rousseau a parfaitement compris cette importance de l’enfance, et la répercussion de cette longue période sur toute la vie humaine. Dans l’enfance nous sommes essentiellement dépendants des parents qui assument notre vie et nos rapports avec le dehors. Le monde naturel ne nous touche que par cet intermédiaire ; nous ne nous heurtons pas à la résistance des choses, et ne connaissons pas vraiment la dureté du monde. Tout n’est-il pas alors possible selon les variations de nos humeurs. Mais cette puissance apparente n’est au fond qu’impuissance, comme il nous faudra bien l’apprendre : « Les contes expriment une vie réelle, où tout est obtenu par prière, où rien n’est gagné par le travail. Le monde cependant est comme il est et paraît à tous comme il paraît. Mais l’esprit, ce dieu des dieux, s’y pose d’abord comme Ariel et s’y trompe sans inventer rien » (Les Dieux). Rousseau est aussi bien l’auteur du Contrat social que de l’Émile. Il a eu le sentiment que ces rapports qui marquaient l’enfance étaient encore ceux qui se retrouvaient dans la vie sociale : maître et esclave, tyran et flatteur, nous jouons tour à tour ces rôles. L’enfant supplie et obtient par des paroles magiques, mais la flatterie, mais la prière se rencontrent aussi bien dans les relations humaines, alors nous ne savons plus si celui qui dépend ne devient pas à son tour tyran par ses supplications mêmes ; qu’on pense aux relations familiales prolongées après l’enfance, au chantage sentimental, à cette dialectique des passions qui se joue à tous les niveaux ; l’enfance continue, et la psychanalyse actuelle ne fait que déceler cette prolongation ou cette rémanence de l’enfance dans la vie adulte. Rousseau, disais-je, a senti plus que tout autre cette emprise tyrannique des relations humaines, et c’est pourquoi il a voulu conduire l’enfant à l’âge adulte en le mettant le plus tôt possible en contact avec la résistance du monde, en lui évitant les caprices qui résultent d’une vie social primitive trop mal organisée, mais il a voulu aussi dans le Contrat social substituer à la tyrannie et à l’arbitraire des hommes l’universalité de la Loi et de la volonté générale qui jouerait le même rôle que dans la nature l’impersonnalité des choses.
Peut-être Rousseau nous a-t-il trop vite conduits dans un monde utopique. L’enfance est nécessaire ; c’est notre « autrefois », l’âge d’or dont il faut bien sortir, mais qu’il faut inévitablement traverser ; l’esprit se joue d’abord avant de se heurter au monde, et ce jeu se retrouvera encore dans le jeu des adultes dans une sorte de compensation qui dessine virtuellement un autre monde en regard du monde sérieux. Si j’ai cependant ici évoqué Rousseau plus que ne l’a fait Alain dans ce livre sur les dieux, c’est parce qu’il me permet de comprendre la liaison entre enfance et bourgeoisie, qui est enfance continuée. Alain, prenant son bien où il le trouve, a commenté Marx à sa façon. Mais le bourgeois selon Alain n’est plus défini par une histoire seulement, mais par une manière d’être humaine qui résulte de la condition même de l’homme. Si la valeur véritable est travail et effort, et si en ce sens la pensée prolétarienne est effectivement la pensée, parce qu’elle mesure la peine des hommes et la résistance des choses, et par là même s’élève à l’efficacité authentique, à la volonté véritable par rapport au désir (qui est magie), il y a toute une partie de la vie humaine qui perd le contact avec ce pur rapport au monde, et ainsi rêve sa vie au lieu de la réaliser. Le monde sans énigme c’est le monde qu’on fait, mais l’énigme est dans le monde contemplé qui se donne en apparence sans travail. Le bourgeois ainsi vit devant un mystère ; il reçoit sans mesurer la peine des hommes. Son monde est magique. D’où la définition qu’Alain donne du bourgeois : « Est bourgeois ce qui vit de persuader. Le commerçant en sa boutique, le professeur, le prêtre, l’avocat, le ministre ne font autre chose… Ce qui résiste à eux ce n’est point l’objet, c’est l’homme, et de là naissent et renaissent d’étonnants préjugés qui ne sont au fond que l’enfance continuée » (Les Dieux)
Enfance, bourgeoisie, jeu de l’esprit qui n’a pas vraiment affaire au monde et n’agit pas encore directement sur lui, il faut bien commence par cette magie qui est et se retrouve dans toute religion, dans toute superstition, dans tout ce domaine que nous avons à explorer ; mais ne devons-nous pas alors dénoncer cette erreur en en décelant la source, pour y substituer la pensée critique de l’entendement ? Tout ne doit-il pas tendre à l’apparition d’un monde qui ne soit plus qu’un monde d’adultes ? Ce serait aller trop vite pour Alain et laisser échapper ce qu’il y a encore de véritable et d’authentique dans l’élan premier de l’enfance, ou dans ce monde interhumain inévitable. Le vrai des contes, c’est le titre d’un chapitre de son livre.
D’abord il faut passer par ces erreurs pour exister comme un homme ; il faut y passer pour les dépasser, pour se montrer apte au jugement : « C’est seulement en ce sens que le secret des dieux se trouve dans les contes, et cette première richesse a été amplement développée d’après la situation bourgeoise. Mais je dois dire maintenant ce qui apparaît à sa place dans le développement même, que la situation bourgeoise, et déjà l’enfantine, développe aussi de précieuses idées sans lesquelles l’adhérente pensée prolétarienne, celle qui se trompe le moins, ne serait jamais parvenue à la conscience d’elle-même. L’animal ne se trompe jamais, l’animal n’a point d’autels, ni de statues, ni de faux dieux, c’est pourquoi il dort et dormira toujours » (Les Dieux). Et même l’enfance, qui exprime la magie du désir sans l’efficace de la volonté, est encore un élan, une espérance qui ne doit pas disparaître de la pensée la plus adulte. Il faut devenir adulte, et devenir sans cesse adulte, mais non pas l’être inexorablement, ce qui serait durcissement et vieillissement. « Cette vérité, celle de l’adulte se heurtant à la nécessité, est de celles que l’on apprend toujours assez vite et qui vieillissent l’homme ; ce n’est toujours que la diabolique fatalité naturelle, objection à tout. Cette idée ressemble au durcissement de nos os. Pierres dures, homme dur, cela fait une sagesse butée, un terme, un mur, une maison, cela fait un homme froid qui bientôt n’est plus capable de former cette idée elle-même ; il l’est tout ; hommes qui ont raison et n’en font rien. » Pour en faire quelque chose, il faut cette générosité de jeunesse, qui est déjà dans l’enfance. Il m’est arrivé de penser qu’Alain confondait ici le courage de l’adulte avec l’apparente puissance de l’enfance, mais je réfléchis qu’il faut distinguer cette magie adulte qui crée un faux monde pour éviter de heurter le vrai, qui est donc une dérobade, et cet élan de l’enfance qui se nomme proprement espérance et qui n’a pas encore mesuré sa propre puissance. Je comprends alors Alain écrivant d’une façon paradoxale :
« J’ai souvent pensé que l’enfance était l’âge des idées ; j’entends l’âge où l’homme se dessine lui-même et ne voit rien d’autre, comme le chevalier brandissant la baguette au lieu du sabre ne voit que la courbe de son propre courage et ne voit rien d’autre. » Et ce n’est pas sans doute par hasard qu’Alain nomme ici Don Quichotte, ce chevalier égaré dans un monde qui n’est que prosaïque. Sans un peu de donquichottisme, sans cette foi et cette espérance qui son esquissées dans l’enfance, qu’adviendrait-il de l’homme ? Il faut devenir adulte, mais il faut encore croire à soi, croire contre toutes preuves, et découvrir la vérité de cet élan qui n’était dans la situation de l’enfance que germe ambivalent d’erreur et de vérité.
Au reste, il faut bien passer par cette erreur selon Alain sous peine de ne pas être homme, car l’essentiel de sa philosophie c’est bien d’apprendre à juger, donc de suivre ce chemin d’errance pour le rectifier toujours et le redresser. Tout l’homme est dans ce redressement et n’est que là. C’est que la philosophie d’Alain est une philosophie du jugement, et non de l’idée ou de la nécessité.
3. Dialectique de la religion
La rencontre d’Alain et de Valéry, du philosophe et du poète, a été un événement intellectuel. Elle a contribué à un nouvel essor de la pensée d’Alain méditant sur la poésie […J Mais la découverte de Hegel –peut-être sous l’influence de Lucien Herr—n’est pas moins importante si l’on veut tracer comme une histoire anecdotique des pensées d’Alain. […J Alain a dépassé son propre cartésianisme, sans le renier bien sûr, en méditant sur la poésie et sur la religion ; il a même pris à Hegel le schéma général d’une dialectique de la religion, telle qu’on la trouve dans Les Dieux.
Chez Hegel la religion se développe en trois moments qui sont à la fois des moments historiques et des moments dialectiques. Il y a d’abord une religion de la nature dans laquelle l’esprit est comme perdu et égaré hors de soi. C’est la nature qui lui sert de représentation de lui-même, mais, cette nature étant pleinement inadéquate à ce qu’elle doit représenter, il y a en elle une absence, puis une énigme. L’homme s’est perdu, il ne s’est pas trouvé, et cette religion de la nature correspond à un monde humain encore barbare. Il y a ensuite une religion de la belle individualité, on pourrait dire une religion esthétique ; ce sont les dieux grecs et le panthéon romain. L’homme s’est purifié de l’animalité ; il se représente le divin sous la forme humaine. Les dieux d’Homère, puis les dieux de la cité, jusqu’à César, délivrent l’homme du panthéisme naturel. Les titans sont vaincus, les dieux sont les dieux de la cité organisée, et des cités organisées en empires. Enfin cette religion est dépassée dans la véritable religion de l’esprit qui est le christianisme. Le troisième moment dans cette dialectique hégélienne de la religion, c’est le moment de la religion absolue, celui où l’esprit s’apparaît à lui-même comme esprit, où le vrai, le seul mystère, est celui de nos pensées, qui est au fond le mystère de la liberté, ou de la grâce, comme disent les théologiens en leur langage.
Alain reprend à sa façon cette dialectique ; il part d’une religion agreste (Pan), passe de là à la religion de la cité, la religion des héros qui s’achève en une religion politique (Jupiter) –le monde est gouverné comme un royaume– , et enfin il nous conduit au christianisme, à la religion de l’esprit qui est négation de la puissance (Christophore) ; mais il ne présente pas ces moments dans une histoire, comme le fait Hegel. L’histoire est seulement l’occasion d’une analyse de l’essence humaine.
« L’histoire est merveilleuse comme un conte. L’esprit s’y reconnaît… Telles sont en fait les étapes de l’homme. Mais plutôt veux-je dire, ce sont les étages de l’homme ». Alain renouvelle ici Platon. L’homme est ventre, ce qui est désir et peur ; l’homme est poitrine, ce qui est colère et courage ; l’homme est tête, ce qui est prudence et gouvernement. Les trois religions de désir, de courage et d’esprit sont ensemble maintenant comme toujours elles furent.
C’est pourquoi, si Alain reprend le mouvement hégélien qui va de la religion de la nature à la religion de l’esprit, il abandonne toute dialectique systématique ; le passage est chez lui de sentiment et de jugement ; il s’efforce de retrouver une vérité de l’homme à chaque étage et de montrer la pérennité de cette vérité partielle, le sens qu’elle conservera dans les étages supérieurs. La religion de la nature est la religion agreste, la religion paysanne ; elle exprime nos premières passions en face de la nature encore inhumaine, et la première passion est sans doute la peur. Mais la peur véritable est la peur de ce qui n’apparaît pas, la peur de l’invisible : « C’est le rien qui fait peur et toute peur est peur de la peur, peur de soi, peur des dieux. » Or l’homme est toujours à moitié nature, il est pris dans le monde et ne saurait s’en évader : « L’homme est un animal pensant qui ne s’est pas plus délivré de son ventre que de sa poitrine ou de sa tête. Aussi ne devrions-nous pas noue étonner plus de la sagesse des anciens temps que de dieux d’autrefois. Tout cela court avec nous, comme notre enfance court avec nous ». Mais de même que l’homme de la nature persiste encore en nous, de même cet homme n’était pas sans raison, et ses dieux sont le produit de cette dualité. Ils expriment cette peur et ce désir encore animal, mais ils répondent aussi, ils mettent en forme ce qui était informe, ils individualisent Pan ; alors cette figure des premiers dieux, qui font énigme, est déjà pour qui sait lire un premier témoignage de la pensée ordonnant le chaos. Le refus de regarder en face le divin qui est caractéristique du sacré était lui-même un commencement de sagesse, « car si l’on évite la source sacrée ou l’arbre enchanté, si l’on fuit au lieu, de regarder, si l’on se prosterne, on ne témoigne jamais que sur ouï-dire. Toutefois je crois comprendre que ce refus de chercher apaise plus qu’il ne trouble, surtout si l’on se tient immobile, tout replié et tête basse ». Ainsi même l’informe est combattu par le silence et le sommeil ; ce refus de penser est encore une pensée, c’est déjà un exorcisme. Mais le vrai mouvement est celui qui combat l’informe par l’œuvre, et donne un corps réel à l’invisible. L’homme échappe alors à cette peur de nature en se faisant ses dieux, et les immortels naissent de cette individualisation et de cette différenciation du sacré primitif. « L’impatience de l’homme qui ne veut pas vivre avec la peur est d’agir enfin sur ce nœud d’arbre ou sur cette pierre qui refuse visage afin d’achever le dieu. Tel est le grand exorcisme. Dans la statue quelque chose périt, c’est le dieu sylvestre, dont la substance est faite d’absence et de silence. » Ce mouvement, par le moyen duquel l’éternel absent, pressenti aux confins de la nature et qui n’est que le reflet de notre propre émoi en face de l’image irréprochable, s’unit à une présence, à une œuvre, fille de l’homme, c’est le même que le poète énonce dans la prière d’Eupalinos : « Mais ce corps et cet esprit, mais cette présence invinciblement actuelle et cette absence créatrice qui se disputent l’être et qu’il faut enfin composer, mais ce fini et cet infini que nous apportons, chacun selon sa nature, il faut à présent qu’ils s’unissent dans une construction bien ordonnée ». Ainsi les dieux sont notre œuvre, et l’esprit saura bien un jour s’y retrouver, s’y reconnaître lui-même, sans jamais abandonner ses premiers balbutiements et cette religion agreste, où le diabolique et le divin se confondent encore. Il serait impossible de suivre ici tous les sentiers où Alain nous promène ; on ne peut abréger, il faut lire et admirer ces continuelles rencontres qui réduisent le sublime au familier, et reconduisent ce qui nous est le plus familier au sublime. Si Alain s’inspire de la dialectique hégélienne, ou de la poésie de Valéry, c’est toujours selon son génie propre. Il nous ramène sans cesse à l’homme que nous sommes, à nos divagations et à nos passions les plus sauvages, mais toujours pour nous sauver, pour retrouver la totalité de l’homme, là où il paraissait le plus égaré, car l’ivresse de l’homme n’est pas celle de la nature, elle la dépasse toujours en étant précisément ivresse de l’homme, c’est-à-dire colère et orgueil : « L’esprit joue alors purement à se perdre, et je mettrais dans mon enfer, si j’en voulais décrire un, cette danse démoniaque bien plutôt que le supplice de Tantale où l’homme est moqué. »
Le passage de la religion agreste à la religion des olympiens est un passage qui se répète inlassablement. La superstition vient d’abord des champs et se discipline à la ville. Ce passage est une histoire éternelle, comme celui qui, à partir des athlètes et de héros, à partir des dieux homériques, s’achève en une religion politique, la religion de César qui périt dans l’idée de puissance, et dans le refus final de l’esprit de reconnaître comme Dieu la toute-puissance. « Il est hors de doute que l’esprit citadin a administré les oracles comme tout. De tout temps la religion agreste vient mourir à la ville. Ce mouvement est éternel comme celui de la mer. » C’est dans ce deuxième mouvement de la dialectique de la religion, Jupiter, qui s’oppose à Pan comme les olympiens aux titans, qu’Alain est le plus suggestif. On y retrouverait si l’on voulait bien toute sa pensée politique ; mais d’abord il y a comme une divination de la force humaine dans sa générosité ; c’est la figure du héros dans un monde qui commence à s’organiser, mais où la raison d’État n’apparaît pas encore comme telle. Hegel a longuement développé l’opposition de ce monde héroïque à la prose du monde qui commence avec les Romains. Il faut passer par cette sécheresse politique pour que l’esprit se retire en lui-même comme dans un désert, et se retrouve comme esprit seul. Le christianisme sera bien la religion des esclaves ; mais que l’esprit se sauve dans l’esclave même, c’est la vérité suprême, celle où la religion périt en s’actualisant toute.
Alain commence par décrire ce monde des dieux à forme humaine, qui est si beau dans sa naissance même. La nature est rabaissée à l’ornement, la forme humaine devient la figure du divin et la seule authentique : « Elle est comme refermée sur ce grand secret. Les dieux sont partout. Un jeune homme inconnu qui montre le chemin, c’est Mercure peut-être ». Pour indiquer le renversement qu’entraînera la religion absolue, Alain cite ce texte des Martyrs, si suggestif : « Au chrétien qui donne au pauvre son manteau, le païen dit, selon sa profonde sagesse : « Tu as cru sans doute que c’était un dieu ? –Non, répond le chrétien, j’ai cru seulement que c’était un homme. »Les hommes d’Homère sont des hommes immortels et bienheureux : « Une fois, donc, l’homme se trouve heureux dans ses limites et puissant par soi. Ce qui lui manque, il le refuse, il s’en est séparé. Il refuse les cents bras comme il refuse la complicité de l’arbre, du torrent et du feu. Ce ne sont plus que des moyens indifférents comme l’aigle de Jupiter à côté de Jupiter, des moyens qu’on n’estime point. L’homme règne. » Cependant cet homme est en tant que dieu, immortel, il dure toujours, il dure à son point de perfection : « Le dieu c’est l’homme qui ne meurt pas, oh! Jeunesse éternelle. »
Comment ce matin du courage qui est l’âge héroïque devient-il l’implacable César ? C’est cette transformation que suit Alain des dieux d’Homère jusqu’à César ; mais dans ce pouvoir, dans cet ordre imposé, il y a bien un dieu aussi, et un dieu toujours adoré et toujours refusé, car l’esclave n’est pas comme l’animal domestique, il pense, et cette pensée de l’esclave est ce qui dépasse le maître et fait émerger l’esprit dans sa nudité. Déjà ce pouvoir organisé est une forme d’esprit ; la force nue est dépassée. C’est l’ordre humain qui apparaît. « L’administration qui range et qui compte les hommes et les choses fait que l’esprit s’élève sur la force et règne par le calcul. Le monde héroïque se renverse et le plus vil flatteur l’emporte sur le soldat sans mensonge, ou qui se voudrait tel, car tout subalterne rapporte le mensonge dans sa giberne ». Ainsi se forme l’idée du pouvoir qui serait Dieu, et cette idée, qui est déjà d’esprit, est une idée terrible, précisément parce qu’elle enferme déjà l’esprit ; c’est là sans doute l’idée du dieu trompeur, plus puissant encore parce qu’il peut tromper, idée qu’a rencontrée Descartes. La contradiction commence à percer ; elle se pensera dans l’esclave, et il faut lire les pages d’Alain sur Ésope.
J’admire comment Alain a repensé ici Hegel à sa façon. Le superbe philosophe allemand a déjà dit tout cela. Il a montré comment la beauté des dieux grecs périssait dans le Panthéon romain, comment César devenait Dieu, et comment le pouvoir abstrait et universel se substituait à l’individualité héroïque. Il a décrit ce passage de l’âge héroïque à la prose du monde. Il a commenté merveilleusement Don Quichotte dans ses leçons d’esthétique ; et il a insisté sur cette nécessité d’une prose du monde pour qu’apparaisse l’esprit. Qui ne sait aussi qu’il a écrit la célèbre dialectique du maître et de l’esclave ? Et pourtant Hegel reste un philosophe superbe, un philosophe wagnérien ; l’épopée de l’histoire l’égare, et en annonçant tout ce que va repenser Alain, il manque le jugement du citoyen contre les pouvoirs, cet antihégélianisme que poussera à son terme une élève d’Alain, Simone Weil. Ainsi Alain décrit ce pouvoir implacable et fait vraiment apparaître, en face de lui, l’esprit, l’esprit qui commence par rire et par tout nier, effaçant les dieux qu’il avait créés, réduisant toute chose à ce qu’elle est, car dans un premier sens l’esprit est moqueur. « Le commun langage qui ne trompe jamais nous jette au visage cet énergique avertissement ; Candide est un livre profond parce qu’il défait tout… O poésie, les dieux s’en vont, avec les dieux s’en vont les furies. »
Il reste un esprit plus haut que celui qui rit ; c’est celui qui toujours refuse puissance, c’est celui du Christ en face de la tentation du pouvoir et mourant sur la croix ; c’est le saint au lieu du héros ; mais ce triomphe de l’esprit ne se laisse plus dire ; il s’annonce dans le symbole de la croix ; il est au-delà de l’idée même de vérité : « C’est que la vérité s’est trouvée déshonorée par la puissance ; César l’enrôle et la paie bien ». Mais la faiblesse de l’enfant est déjà Dieu : « Cet être qui cesserait d’exister sans nos soins, c’est Dieu. » Par où il faut comprendre, et c’est là l’existentialisme d’Alain, que l’esprit ne se constate pas, mais se fait, qu’il s’affirme dans l’espérance et dans le courage, sans aucune garantie, comme l’enfant qu’on fait exister. Mais ici je veux citer seulement Alain sans y rien changer : « Cette mère, moins elle aura de preuves et plus elle s’appliquera à aimer, à aider, à servir. Ce vrai de l’homme, qu’elle porte à bras, ce ne sera peut-être rien d’existant dans le monde. Elle a raison pourtant, et elle aura encore raison quand tout l’enfant lui donnerait tort. Un mot ami maintenant à ces médecins qui soignent les arriérés et qui attendent, comme des prophètes, le moindre éclair d’attention ; ils ne se lassent jamais ; ils ont raison. Il y a donc un vrai de vrai qui brave le sort. Et je pourrais montrer, en suivant Descartes, qu’il n’y a point de vérité, même vérifiée, même utile, qui ne soit fille de vérité non vérifiée, de vérité inutile, de vérité sans puissance aucune. Mais la vérité industrielle est une fille ingrate, au reste cent fois punie par la récompense. Ces idées paraîtront peut-être et l’esprit saura se priver de puissance, de toute espèce de puissance ; tel est le plus haut règne. Or, le calvaire annonce cela même, de si éloquente et de si violente façon, que je n’ajouterai aucun commentaire. »
4. Une philosophie du jugement
Que signifie donc livre d’Alain sur la religion ? Le canonnier avait raison, quand il remarquait qu’Alain n’était guère pieux au sens où lui-même l’était. Cependant Alain ne dit-il pas que : « Quand vous saurez que les dieux sont sans fautes, vous saurez tout » ? Il justifie les moments de la religion comme des moments de l’homme. Où donc se situe la différence entre Alain et un croyant ? Elle est, à n’en pas douter, car enfin Alain n’adhère pas spontanément aux croyances qu’il justifie ; il les reprend pour en découvrir le sens, il finit la pensée qui s’ébauche seulement en elles. « Les hommes, dit-il, craignent de finir leur pensée. » Mais lui va jusqu’au terme, il prend les récits comme ils sont, et il en fait surgir l’idée, naïvement présentée ; il prolonge ce qui n’est qu’indiqué, se garde d’opposer une théorie à une autre ou de chercher des preuves. S’il suit la religion, il abandonne le théologien comme le philosophe dogmatique ; le théologien croit aux preuves ; Alain ne veut que découvrir l’idée, la former et la reformer, et il va jusqu’à sa source, jusqu’aux conditions les plus humbles de sa naissance, comme Socrate qui n’avait pas peur de parler de ces cordonniers, de ces tisserands, de ces cuillers de bois qui toujours revenaient dans ses discours.
Aussi Alain n’est pas sans quelque estime pour cette dialectique matérialiste qui explique les philosophies et les idéologies en remontant à leurs sources vives. « Car il faut que les mots procurent des choses, et telle serait l’ontologie. D’où quelques penseurs obstinés ont formé l’idée d’une dialectique matérialiste d’après laquelle tous les systèmes théologiques traduisent une certaine manière de vivre et exactement un certain métier. On sait qu’il y a un dieu de chaque métier. Seulement le lien des travaux aux croyances est bien plus serré que les croyants ne le savent. Et puisque le philosophe exprime naïvement en ses paroles qu’il vit de paroles, il faut une philosophie de la philosophie ». Cette dernière expression nous éclaire sur le génie d’Alain. On a dit de lui qu’il était un moraliste et non un philosophe, mais c’est encore méconnaître sa position, ou c’est trop peu dire. Le professeur de première supérieure — c’est-à-dire l’idée de ce professeur modèle de cette admirable classe de philosophie qui n’existe que chez nous, et en laquelle se réfugie le meilleur de notre philosophie—chez Alain est tout l’homme pensant. C’est un maître à penser, et la pensée n’est pour lui que cela, apprendre à penser à partir de notre situation dans le monde, et à partir de ces œuvres humaines qui sont la vérité de l’imaginaire ; or, parmi ces œuvres, il faut compter le langage, le récit que nous faisons sans cesse de nous-mêmes, des autres et du monde, et le roman et l’histoire qui, pour Alain, est toujours l’éternelle histoire, non pas une vérité objective en laquelle croient trop les modernes, et qui est une sorte de théologie comme l’autre. Alain sur ce point rejoint Valéry, si défiant à l’égard de l’histoire pure et de la prétendue vérité historique. C’est pourquoi il faut prendre tous les récits comme ils se donnent, et y chercher son bien, c’est-à-dire l’idée, la vérité selon l’essence.
« Pour la prétendue critique des récits, elle n’est qu’un scolastique toute fondée sur les notions ruineuses du possible et de l’impossible… Et j’aimerais mieux, à la manière de Montaigne, croire tout ce qu’on raconte et jusqu’aux moindres détails, mais sous réserve toujours et gardant défiance égale, ou si l’on veut, confiance égale à l’incroyable et au croyable ; c’est laisser le problème ouvert. Et ce développement succinct, qui mérite de grandes réflexions, éclaire de diverses manières mon grand sujet. Car d’un côté nous comprenons que les hommes croient plus aisément ce qu’on leur raconte que ce qu’ils voient. Mais d’un autre côté j’en tire qu’il est plus sain de tout croire, ce qui est apprendre à croire et ne jamais s’enfermer dans ce qu’on croit. Dès que l’on veut s’instruire sur la nature humaine, ce qu’on en dit, absurde ou non, doit être premièrement laissé dans son état naïf, qui vaut cent fois mieux qu’un arrangement vraisemblable, dont vous ne tirerez que des lieux communs. »
Ce refus de la philosophie de l’histoire, ou de l’histoire objective, au sens strict du terme, est caractéristique d’Alain, comme il le fut de Péguy et de Valéry. L’histoire commence quand nous tentons un récit de notre propre passé, mais ce récit n’est jamais qu’un reconstitution dont le sens est actuel. Une prétention étonnante de l’homme est d’avoir une bonne mémoire et de conter exactement comment, de fil en aiguille, tout est arrivé. Seulement nul ne peut rebrousser le temps. Ce que nous appelons souvenirs, ce sont nos pensées de maintenant, nos reproches de maintenant, notre plaidoyer de maintenant. Il faut donc en prendre son parti, et chercher l’essence du changement même et de l’histoire dans tous ces récits, comme le fit Platon, éclairant par un grand mythe toute la formation du monde par le démiurge. C’est alors que le mythe et le récit nous conduisent à l’idée, et c’est l’idée qui est le véritable objet de toute notre pensée ; c’est l’idée qui éclaire les ombres dansantes sur le fond de la caverne (cf. Idées, « Platon »)
Mais le philosophe qui réaliserait ces idées, qui en ferait un autre monde, comme le croyant qui croit à un second monde au-delà de celui dans lequel nous vivons et agissons, se tromperait aussi bien ; il serait dupe de son propre mythe et se laisserait prendre au piège de l’ontologie. C’est pourquoi Alain nous parle d’une philosophie de la philosophie ; c’est pourquoi il présente les philosophies elles-mêmes dans son œuvre Idées comme des produits sublimes du jugement humain, des récits plus profonds et plus éclairants que tous les autres. Et Descartes lui aussi est celui qui pour Alain a pensé le morceau de cire, et le sens de la matière pure selon l’entendement, ou l’animal-machine, ou la grandeur de la générosité, qui est le seul miracle existant. C’est ainsi que les grandes philosophies sont toutes vraies comme Homère et Balzac sont vrais ; il n’y a pas d’ordre des idées qui s’impose inévitablement au jugement humain. L’ordre est toujours voulu, et il n’y a pas à chercher au-delà de l’homme pris dans le monde, au-delà des ombres, une vérité résistante qui serait l’enchaînement nécessaire des pensées. Alain est donc bien un philosophe de la philosophie. Comme presque tous ses contemporains il ne croit plus à la philosophie comme science rigoureuse, il fait donc une philosophie du jugement et non une philosophie du concept, entendant par-là que l’idée n’est telle que quand elle apparaît dans l’activité libre du jugement humain. C’est une philosophie de la culture, au sens le plus noble du terme. Il faut beaucoup d’audace et, on oserait presque dire, un admirable courage pour dépasser cette conception critique de la philosophie, et revenant à l’ordre absolu de Spinoza, et peut-être de Hegel dans sa Logique, dire comme un de nos philosophes, contre toutes ces philosophies seulement humanistes : « Ce n’est pas une philosophie de la conscience, mais une philosophie du concept qui peut donner une doctrine de la science. La nécessité génératrice n’est pas celle d’une activité, mais d’une dialectique » (J. Cavaillès, Logique et théorie de la science).
Le problème est posé par ce texte si lucide, et qui oppose à cette philosophie du jugement, qui est celle d’Alain, une philosophie qui serait encore science et retrouverait une nécessité dans les idées, comme dans l’univers mathématique. Mais pour Alain l’idée n’est rien de tel ; elle brille seulement dans le jugement humain qui la porte toute, et il n’y a pas à chercher au-delà de ce jugement, de cette activité pensante au milieu du monde, qui est le seul absolu. Sur ce point Alain commentant Platon rejette toute ontologie, tout au-delà de ce monde des ombres, car l’idée platonicienne n’est pour lui que le sens de ces ombres que nous formons et qui n’est pas distinct d’elles, « car cette présence de l’éternel, et j’ose dire cette familiarité avec l’éternel, enfin cet autre monde qui est ce monde et cette autre vie qui est cette vie, c’est proprement Platon ; et ce sentiment que j’ai voulu réveiller, qui est comme un céleste amour des choses terrestres, ne sonne en aucun autre comme en lui ». (Idées, « Platon »)
Trouver l’idée dans les ombres, et dans les fictions, la former, ne jamais la réaliser, et donc la reformer sans cesse, la porter toujours par l’activité de la conscience, c’est la leçon du maître à penser, et la philosophie de la philosophie n’est jamais que cet exercice toujours recommencé du jugement qui trouve son butin dans les poètes autant que dans les grands philosophes, mais jamais dans la philosophie d’école, dans la scolastique des preuves. C’est pourquoi Alain peut dire que l’idée apparaît mieux encore dans les œuvres de l’imagination que dans la réalité empirique. Le mythe fait jaillir l’idée, il est tout entier évocation d’idée. « Une idée est une fiction et de longues épreuves font connaître qu’on ne perçoit jamais que par une idée ; le fait tout nu, surtout s’il est ordinaire, est comme usé d’avance et en tout cas terminé à lui. Qui donc a assez pesé le mot de Descartes : « Comme nous avons été enfants avant d’être hommes » ? On le sait bien, on le sait trop, au lieu qu’une fiction a besoin de nous et n’est rien sans nous, c’est pourquoi j’ai voulu suivre cette fiction des géants, quoique le lecteur ait bien compris à la troisième ligne où je voulais le conduire. Cet art ingénu de retarder le jugement, je l’ai pris aux fabulistes, je l’ai pris à Platon… Ce qui importe c’est que l’idée soit formée et non pas donnée ». (Les Dieux)
Mais on comprend bien que l’idée n’est pas dans le mythe ou la fiction comme un corps dans son vêtement ; le mythe surgit d’abord, nous le faisons et l’idée s’en dégage ; l’art ici nous en apprend plus que la seule réflexion d’entendement, car l’artiste fait d’abord son œuvre et la pensée de sa propre pensée ; l’homme parle, raconte et puis se pense ensuite ; aussi l’homme fait ses dieux et revient au mystère. Il se comprend et se trouve seulement par ce long détour. Ce n’est pas la psychologie nue qui pense la vérité de l’imaginaire, mais le philosophe qui médite sur les œuvres humaines, et finit par y déchiffrer l’homme. La philosophie du jugement d’Alain n’est donc pas une philosophie proprement intellectualiste. Les critiques modernes de nos existentialistes ne portent pas contre elle.. Sans doute Alain pense selon l’idée, ou l’essence, car tout recommence, et la pensée même de ce recommencement est éternelle, et il faut toujours la former. Il faut donc bien penser selon l’essence. Cependant l’activité pensante et jugeante dépasse l’essence, comme le bien platonicien est au-delà de l’être. Il y a un élan qui porte le jugement et qui est proprement l’existence même ; une affirmation de soi de l’homme existant et qui, si l’on veut, est valeur, à condition de ne pas réaliser cette valeur dans une nouvelle ontologie. Cette affirmation est sans garantie aucune. C’est nous qui la produisons, c’est nous qui la reproduisons ; l’esprit, le vrai de la religion, est tout entier dans cette foi. Il n’y a pas d’avenir consolant selon une philosophie de l’histoire ou une eschatologie religieuse, mais il y a un perpétuel avenir selon l’essence qui est notre choix d’aujourd’hui, et notre confiance contre le monde même et contre les preuves. Péguy appelait cela le mystère de l’espérance :
Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne moi-même que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comme ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin ; ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce, Et j’en suis étonné moi-même.
Si l’on veut comprendre cette idée de l’existence et comme son essence, il faut relire la plus belle page qu’Alain ait jamais écrite, celle sur le mythe d’Er dans Platon (Idées, « Platon »). Le mythe nous fait comprendre que nos choix viennent toujours de nous et qu’ils sont pourtant irrévocables, ils sont derrière nous, oubliés, faits. Chacun autour de nous accuse le destin d’un choix que lui-même a fait. A qui ne pourrions-nous pas dire : « C’est toi qui l’as voulu », ou bien selon l’esprit de Platon : « C’était dans ton paquet. » Et pourtant personne ne nous croira. Ce choix est oublié ; le fleuve oubli ne cesse de passer, et nul ne cesse d’y boire. Choix toujours libre ; choix déjà fait, donc irrévocable ; mais non, car il nous reste de continuer : « Tout est irréparable en ce sens qu’il est bien vain de vouloir que nos choix passés aient été autres ; mais pendant que vous récriminez, d’autres choix d’instants en instants vous sont proposés par lesquels tout peut encore être sauvé. Car nous ne cessons de continuer, et la manière de continuer fait plus que le choix. »
Mais cet élan même de l’existence est contre toute preuve ; il est le fait premier de l’esprit en l’homme –tel est donc l’existentialisme éternel d’Alain : « Et véritablement, si l’on croit que le monde est juste, la justice est perdue par trop de preuves, mais si l’on sait que la justice est seulement voulue, et très imprudemment voulue, on cherchera toujours raison dans courage, et non pas comme on fait à l’envers, courage dans raison. »
JEAN HYPPOLITE