Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

MERLEAU-PONTY Maurice, « Alain rationaliste ? »

On le sait, la pensée d’Alain a eu une influence considérable sur la philosophie française. L’extrait suivant des Entretiens de Maurice Merleau-Ponty avec Georges Charbonnier en donne une idée en abordant, de manière très condensée, des thèmes majeurs pour comprendre Alain. D’une part, le retour effectué par ce dernier de la « philo »-sophie, c’est-à-dire littéralement « l’intérêt amical pour la sagesse » à une sagesse proprement dite. D’autre part, la tension entre ce qui nourrit cette sagesse, le jugement, et ce qui structure cette philosophie, le « rationalisme ». En filigrane, Merleau-Ponty — l’un des philosophes majeurs du 20ème siècle — évoque l’importance d’Alain pour l’histoire de la philosophie, notamment sa lecture de Hegel et de Comte. (TL)

 

Références de l’ouvrage : « Merleau-Ponty Maurice, Entretiens avec Georges Charbonnier: et autres dialogues, 1946-1959, Lagrasse, Verdier (coll. « Philosophie »), 2016, 435 p.

 

Extrait p 60-61 :

GC : Hyppolite suggère que le rationalisme s’est assoupli en s’adaptant au bergsonisme, surtout chez Brunschvicg et Alain. Beaufret continue sur le rationalisme d’Alain, qui fut moins assoupli que celui de Brunschvicg et qui demeura plus proche de Hamelin. Mais c’est Alain qui permit l’introduction d’un intérêt pour Hegel et pour le marxisme en France : il a développé l’idée du lien de la philosophie avec l’histoire et la vie.

Merleau-Ponty – Oui je suis absolument de cet avis. Il y avait chez Alain d’un côté une sagesse, qu’il enseignait comme il enseignait tout ce qu’il avait dans l’esprit, bien entendu. Cette sagesse par exemple dans l’ordre pratique et politique, conduisait à des positions très définies, très arrêtées. Et il y avait d’autre part une sympathie entière, absolue, pour tout ce qu’on peut appeler la grande philosophie, y compris et au premier rang Hegel, y compris aussi Auguste Comte, qui était en apparence un esprit très opposé à Alain et qu’en réalité Alain a fait connaître mieux que personne. De sorte que son influence est double : il y avait à la fois cette sorte d’éclair de jugement qui était toujours présent et qui portait sur les événements du jour aussi bien que sur le passé, et il y avait d’autre part toute cette grande tradition de culture  qu’il représentait et qu’il livrait à ses élèves.

GC : Hyppolite ajoute qu’il y a chez Alain un rationalisme avide de demeurer en contact avec le réel : il a appris à ses élèves à aller chercher l’idée au cœur du réel. Desgraupes demande alors d’expliquer ce qu’est l’existentialisme. Pour Beaufret, ce serait demander ce qu’est la philosophie. Il avance tout de même que l’existentialisme vient de la volonté de ne pas s’arrêter aux constructions conceptuelles et de ne pas commencer la philosophie en s’absentant du monde.

Merleau-Ponty– Oui, je trouve la définition tout à fait juste. Et pour donner un exemple qui, je crois, matérialise la nouveauté de cette philosophie, ou enfin qui la fasse sentir vivement, je prendrais l’exemple suivant : il y a un problème, qui est depuis toujours un problème philosophique, mais qui n’a paru sous une forme explicite qu’avec les phénoménologues et avec les existentialistes et qui est le problème d’autrui. Voilà un problème dont par exemple Bergson n’a que je sache jamais dit un mot, un problème dont Brunschvicg n’a jamais dit un mot. Pour Alain, ça serait beaucoup moins sûr. Alain est à certains égards beaucoup plus près des problèmes de situation que les deux autres philosophes que nous venons de nommer. (…)

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