Hommage à Bernard Bourgeois, prononcé à l’Assemblée générale des Amis d’Alain, le 8 juin 2024, au Vésinet par Jean-Michel Muglioni.
Bernard Bourgeois est mort le 26 mars 2024 à Varennes-Saint-Sauveur, où il est né le 2 septembre 1929. Élève de Jacques Muglioni au lycée de Mâcon, Lauréat au concours général, normalien, agrégé de philosophie, professeur d’université et membre puis président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, dont il aimait l’intitulé, président du jury d’agrégation de philosophie, président du CNU, alors conseil national des universités, il a une biographie universitaire et une bibliographie considérables. De loin Il peut paraître très exactement ce qu’Alain abhorrait et qu’il appelait comme Rabelais un sorbonnagre. Or ce grand spécialiste de Hegel n’a pas oublié de saluer Alain, lecteur de Hegel, Alain, un homme, écrit-il dans son introduction à sa traduction de la Philosophie de l’esprit de Hegel, en 1988, Alain,« un homme qui s’y connaissait en esprit ». Puisque cet hommage à Bernard Bourgeois est fait devant l’AAA, je vais vous lire le paragraphe qui lui est consacré dans cette introduction, p.88.
« Un homme qui s’y connaissait en esprit, en hégélianisme aussi, saluait dans la philosophie de l’esprit de Hegel l’incomparable union de la vie et de l’Idée. Écoutons donc – trop brièvement – Alain, qui, plus que tout autre moment de l’Encyclopédie, admirait la théorie de l’esprit ».
Suit toute une page de citations d’Alain. Je ne crois pas qu’on trouve d’éloge d’Alain aussi remarquable dans les travaux universitaires, sinon dans ceux qui sont consacrés à Alain.
Ceux d’entre les Amis d’Alain qui ne pratiquent pas la philosophie en spécialistes et que les travaux hégéliens de Bernard Bourgeois peuvent rebuter, pourront du moins lire deux de ses livres :
Philosophie et droits de l’homme, Paris, PUF, 1990, livre qui leur paraîtra à première lecture difficile, mais qui est une des meilleures mises au point que je connaisse sur la question. Et ils comprendront à partir de là ce qu’a été le républicanisme de Bernard Bourgeois, et pourquoi il a combattu pour la défense de l’école. Ils pourront plus facilement le comprendre s’ils lisent les Textes pédagogiques de Hegel publiés chez Vrin en 1978, textes forts clairs. Car Bourgeois, et son estime pour Alain y est liée, a pris la défense de l’école, particulièrement de l’enseignement de la philosophie en classe terminale, ce que peu d’universitaires ont su faire : en 1979, vice président de l’université de Lyon III, il alarme sur l’état de l’université et de l’école en France, et décrit le désastre présent de l’école.
Vous trouverez sur le site de la Librairie tropiques une conférence filmée de Bernard Bourgeois sur le réalisme kantien, du 22 février 2020. Vous verrez ce que c’est qu’un grand professeur. Il aimait parler dans cette librairie, la dernière librairie marxiste de Paris, qu’il considérait comme un lieu rationaliste, ajoutant non sans malice, « c’est-à-dire d’abord raisonnable »… La conférence commence par ces mots :
« Je me suis fait une règle générale, Mesdames et messieurs, de l’économie du discours philosophique, qui tend à notre époque, comme tout autre discours d’ailleurs, à se dévergonder dans ce qu’il n’est que sur une richesse apparente…»
Bernard Bourgeois n’était pas seulement un grand universitaire, c’était un homme, au sens où vous le savez Alain prenez ce terme. J’ajoute à titre personnel qu’il était aussi d’une grande gentillesse. J’ai beaucoup appris de lui, je lui dois beaucoup, je lui devais cet hommage.
Voici le texte complet de l’allusion à Alain dans l’introduction à la philosophie de l’esprit de Hegel :
« Un homme qui s’y connaissait en esprit, en hégélianisme aussi, saluait dans la philosophie de l’esprit de Hegel l’incomparable union de la vie et de l’Idée. Écoutons donc – trop brièvement – Alain, qui, plus que tout autre moment de l’Encyclopédie, admirait la théorie de l’esprit ». Il vante, ainsi, entre autres, dans le développement consacré à l’esprit subjectif, l’analyse hégélienne de la folie, celle de l’habitude, « exemple, …hors de prix, d’une fonction exactement mise à sa place » ; il célèbre, dans le mouvement d’où surgit la conscience, « le plus beau de tout Hegel », exalte dans la dialectique du maître et de l’esclave (de l’Encyclopédie), une « immense idée, qui est toujours à l’œuvre, et peut-être dans toutes nos pensées »… . Le philosophie de l’esprit objectif déploie le droit, « notion que Hegel seul a mis à sa place », et, lorsqu’on passe à l’étude de la société civile, « ce qui paraît en Hegel, c’est la sociologie même », et de telle sorte que les vues hégéliennes, ici, « sont loin d’être parvenues à leur plein développement » et « sont… le texte unique des réflexions efficaces dans le siècle de Hegel et dans celui-ci »… Le même éloge embrasse la théorie de l’esprit absolu… Et tout cet éloge s’adresse à la philosophie hégélienne de l’esprit en tant qu’elle couronne – à la cime moderne de l’histoire de la pensée – une philosophie de l’inhérence de l’Idée à la réalité, du concept à l’expérience, bref, de la « réflexion expérimentale » que l’auteur des Entretiens au bord de la mer admirait aussi, aux origines de cette histoire, dans l’aristotélisme. (JMM)
Les citations d’Alain sont toutes extraites de Idées.