Les royalistes font argument de ces guerres ruineuses qui furent la suite de tous les mouvements de la Liberté. Il faut avouer qu’une monarchie héréditaire est civile par son essence, et qu’elle ne laissera point s’étendre le pouvoir militaire, lequel, par sa nature même, dépose continuellement le roi. Ajoutons que la nation armée ne peut plaire au roi ; car que sont ses gardes à côté ? Mais il y a mieux à dire, je pense. Je vois toujours de la passion et même de l’humeur dans la politique d’un ministre ; c’est qu’il est entouré de rivaux qui guettent la faute, et enchérissent sans aucun risque sur l’audace, sur l’honneur, cherchant toujours à piquer au vif l’homme, et le piquant en effet. Ainsi le ministre s’anime au jeu. Même dans la paix, il combat toujours ; ce mouvement est dangereux dans le pouvoir ; il se communique au corps entier qui devient querelleur par trop de gestes. Un roi héréditaire est plus large de base et moins sujet aux oscillations. Cette majesté, qui est bien à lui, le détourne de brusquer rien. Il décide sans appeler l’irritation au secours. Au contraire un ministre n’est puissant que par l’exaspération. Toutes ces remarques appartiennent à l’utopie, car la majesté ne peut renaître.
Mais ce reproche aux démocraties, qu’elles sont toujours à vouloir se battre, ne nous fera-t-il point réfléchir ? Les nations en vérité sont querelleuses, pointilleuses et toujours à supposer l’insulte, comme on voit que sont les parvenus. Je conseille au citoyen d’apprendre un peu le métier de roi. Un roi ne lit point les journaux ; il se les fait lire, tout au plus. Il n’est point tant aux aguets pour savoir ce que l’on dit de lui ; il n’a pas remis sa dignité aux mains d’un pamphlétaire qui, par état, grossit tout. Le roi n’entend que des termes mesurés, médités, refroidis ; l’opinion lui arrive, mais sans les épines. S’il se trouve donc quelque situation difficile, et un peu d’humiliation pour s’être trop avancé, le roi prendra cela sur lui et les formes seront gardées. Nul n’ira dire au roi qu’il fait figure de poltron ; au reste il en pourrait rire, puisque, par son métier, il n’en vient jamais aux mains.
Le citoyen, comme roi, est traité avec moins d’égards, et le moindre journal l’entreprend tous les matins sur son honneur ; il ne reçoit que des soufflets ; tout écrivain lui présente le fusil et le sabre, lui proposant une belle rencontre d’honneur. « Tu vieillis, fantassin ; l’Europe se moque de toi ; elle dit que tu n’oseras plus ». Ici le jeune bourgeois se redresse militairement. On pourrait croire que le travailleur prendra plus cyniquement la chose ; et lui-même le dit ; mais ce n’est point vrai. Le corps libre et maigre est prompt à se retourner. L’honneur ne le prend point, mais la querelle le prend. Même dans le paysan, si naturellement mesuré, on surprend une vivacité du mouvement, à la moindre occasion, et une intrépide décision ; ce que le cheval et le taureau reconnaissent promptement. Le bond de l’homme est plus redoutable encore que la colère. Or si tout cela était vu et su, et bien tiré au clair, tout homme ferait réflexion sur ceci qu’il est mené et dupe par cette impatience de n’être ni mené ni dupe, et il se ferait une majesté de précaution, par un mépris jusqu’à l’ignorance de ce qu’on dira de lui en Prusse. Car il faut en venir là ; sans quoi il sera vrai de dire que l’homme soupçonneux, irritable, intraitable est bien l’image et comme le visage de cette difficile nation.
Libres Propos, Première série, Troisième année, n°7, 14 juillet 1923