«Si j’avais un vœu à émettre, ce serait qu’il n’y eût pas de différence entre le traitement des hommes et celui des femmes, en ce qui concerne instituteurs et institutrices.» Je ne crois pas que jamais encore, chez nous, un chef d’État ait aussi clairement indiqué leur devoir aux gouvernants et administrateurs. Plus d’un bureaucrate fera la grimace; j’en connais dont la bile sera remuée. Non qu’ils craignent que la justice soit réalisée si tôt, car le budget résistera; mais parce que l’affirmation du droit des femmes a pour résultat de mettre tous les tyrans hors d’eux-mêmes.
Partout où une femme enseigne, vous pouvez être assuré qu’elle a plus de service qu’un homme, et qu’elle est moins payée. La cause d’une inégalité aussi choquante est facile à découvrir; il en a été des institutrices comme des confectionneuses en chambre; on en a trouvé autant qu’on en a voulu et au prix le plus bas. Que ce barbare effet de la concurrence semble juste et naturel à beaucoup d’hommes, voilà qui n’est point supportable.
Dans ces sentiments troubles, il y a de tout un peu. D’abord un certain mépris pour l’intelligence des femmes, mépris souvent à peine déguisé, quelquefois cyniquement étalé. J’ai connu beaucoup de conférenciers pour dames, et beaucoup de professeurs-hommes pour jeunes filles. Presque tous montrent dans leur manière un souci d’être clairs, simples, superficiels, amusants, qui est tout simplement une injure pour leur auditoire; et cela semble naturel à tout le monde. Le conférencier laisse entendre clairement ceci : «Mesdames et Mesdemoiselles, vous êtes de brillantes perruches sans jugement; vous n’êtes sensibles qu’aux fades compliments et aux piquantes anecdotes; vous êtes incapables d’attention; vous n’aimez pas les idées; vous ne savez pas suivre un raisonnement. Eh bien je vous prends comme vous êtes, et nous allons batifoler. » Si les femmes pensaient à ce joli préambule, elles siffleraient ces gens la.
Il y a d’autres sentiments encore qu’il faudrait bien pourtant trainer jusqu’à la lumière. Beaucoup d’hommes ont cette idée que la femme n’est pas capable de se faire par son travail une vie assez ornée; et ils jugent que cela est dans l’ordre, parce que cela pousse les femmes à trafiquer de leur beauté, si elles en ont; c’est dans l’ordre, pensent-ils; car si une jolie femme pouvait choisir son compagnon, quel espoir resterait-il à ceux qui ne peuvent pas plaire et à ceux qui ne veulent pas plaire? On chercherait certainement moins le pouvoir et l’argent, si l’amour, disons la comédie de l’amour, ne pouvait être forcé par promesse ou menace. Ce sentiment n’est jamais avoué; mais j’ai cru souvent le démêler dans de nobles discours où il était dit que la mission de la femme est de plaire et d’être aimée. J’ai peut-être mal interprété des lieux communs et des phrases toutes faites. Tant mieux. Nous allons tous tomber d’accord pour payer les femmes, et non selon le plaisir qu’elles donnent, mais selon le travail qu’elles font.
Propos d’un Normand, 12 novembre 1909
Institut Alain, 1994.