Philosophe Alain

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le philosophe Alain et le féminisme

par Jean-Michel Muglioni
Dès la fin du 19ème siècle, Alain fut l’un des premiers intellectuels à se prononcer pour le vote des femmes mais aussi pour l’égalité stricte des salaires entre les hommes et les femmes. Il a pris publiquement la défense des féministes de son époque.

 

Les réflexions d’Alain sur la femme et la famille se trouvent dans les Propos et principalement dans l’ouvrage de 1927, Les idées et les âges. Leur point de départ est le fait que la femme porte l’enfant, et toujours Alain revient à la physiologie, comme il fait lorsqu’il parle des passions humaines en général. Faudra-t-il le ranger dans la liste des philosophes qui confondent ce qui est naturel et ce qui est social ? Soyons prudents. S’il est vrai que sur les questions de mœurs en général les meilleurs semblent parfois prisonniers de leur temps et de leur milieu, sommes-nous sûrs d’être plus clairvoyants ?

De nombreux propos et les articles écrits à Lorient, à la fin du XIX° siècle, montrent un Alain militant féministe qui ne recule pas devant la provocation, ainsi qu’on peut voir dans les Propos d’un Normand, dont ont été tirés les principaux textes que je vais citer (voir Post-scriptum ci-dessous).

 

Alain au collège de jeunes filles Sévigné

On lira donc : « la femme forme avec son petit enfant qu’elle porte dans son ventre et ensuite pendant qu’elle le nourrit de son lait, une société parfaite dont l’homme peut former l’idée mais dont il n’a pas l’expérience » (2 octobre 1911). Ce caractère naturel, physiologique, fait d’elle une républicaine par nature ! Les femmes sont autant que les hommes capables d’exercer pleinement la citoyenneté, c’est-à-dire de prendre part égale à la souveraineté du peuple. Et comme leur place est considérable dans l’éducation de l’enfant, citoyennes, elles sauront le préparer à la citoyenneté. Il y a là un grand espoir d’Alain.

Alain refuse donc d’enfermer les femmes dans leur foyer, il veut qu’elles puissent avoir une vie publique comme les hommes. Il a combattu pour l’égalité des droits. Il a soutenu les féministes. Avant 1914 et pendant la guerre alors qu’il est au front, il les encourage à demander le droit de vote et à combattre pour la paix. Il demande l’égalité, l’égalité salariale, l’égalité dans l’instruction. Par exemple il refuse qu’on leur donne un directeur de conscience laïque dans les Écoles Normales Supérieures (8 mai 1909). Il considère que la Suisse a raison d’instituer dans les écoles la mixité (11 septembre 1906) qui libérera les femmes et accoutumera les deux sexes à vivre ensemble et en égaux. Il importe qu’ils reçoivent la même instruction. Et ainsi les jeunes filles apprendront à ne pas avoir peur des hommes, comme les paysannes de 16 ans que traverser la lande la nuit effraie sans qu’elles osent dire pourquoi : elles savent qu’elles sont une sorte de bétail à marier (6 décembre 1910).

 

Suffragette arrêtée par des policiers anglais, 1907, Museum of London

 

Alain s’en prend violemment aux hommes qui veulent maintenir les femmes en esclavage parce qu’ils ne voient en elles que des instruments de plaisir. « Il est trop souvent admis que celui qui désire une femme a sur elle une espèce de droit » (12 novembre 1909). Ou ailleurs : « On chercherait certainement moins le pouvoir et l’argent, si l’amour, disons la comédie de l’amour, ne pouvait être forcé par promesse ou menace. Ce sentiment n’est jamais avoué ; mais j’ai cru souvent le démêler dans de nobles discours où il est dit que la mission de la femme est de plaire et d’être aimée ». Jugement sévère sur ce qu’il faut bien appeler un machisme, principe du refus de l’émancipation des femmes, volonté de les maintenir en esclavage pour en abuser. Jugement qu’Alain atténue immédiatement, mais pour conclure encore plus violemment : « J’ai peut-être mal interprété des lieux communs et des phrases toutes faites. Tant mieux. Nous allons tous tomber d’accord pour payer les femmes, et non selon le plaisir qu’elles donnent, mais selon le travail qu’elles font » (12 novembre 1909). Les blagues plus ou moins salaces qu’on continue d’entendre ne donnent-elles pas raison à Alain ?

Il insiste. Un mariage n’a pas à être un acte de soumission : Alain se dit choqué qu’une femme doive prendre le nom de son mari, et se trouver ainsi marquée à son chiffre, comme une tête de bétail, comme si elle devait alors cesser d’appartenir à elle-même. (24 novembre 1907). Que les femmes aient un métier les libère. Les hommes qui ont ri de les voir étudiantes, qui rient de ce qu’elles veulent exercer des métiers jusque-là « masculins », qui rient de ce qu’elles peuvent être témoins en justice ou soldats, de ce qu’elles revendiquent le droit de voter, ces hommes ne veulent pas qu’elles acquièrent une indépendance financière « qui leur permette d’attendre, de choisir, de ne pas faire la chasse au mari ». On objectera que cela les met « sous la dépendance d’un chef, d’un patron ou d’un client ; c’est trop évident. Du moins elles n’auront point à aimer leur maîtres ; leur métier ne consistera pas à plaire ; et, pour tout dire, elles ne seront point du tout courtisanes. Une femme peut désirer cela, je crois, sans être ridicule » (8 mai 1908). Alain refuse de rire du féminisme.

Référendum non officiel pour le vote des femmes, organisé par « le journal », 26 avril-3 mai 1914, en marge des élections législatives. A la question « Mesdames, Mesdemoiselles, désirez vous voter un jour ? » il est répondu 505.972 bulletins « je désire voter » contre 114 bulletins négatifs »

Ces brèves remarques pour donner une idée du combat féministe d’Alain, trop souvent ignoré. Et sachant quelles ont été les positions d’Alain dans ce combat, on pourra lire ses analyses les plus difficiles et comprendre pourquoi son insistance sur ce qui distingue une femme d’un homme est rigoureusement « féministe ».

Jean-Michel Muglioni

Sources : Sur le sujet d’Alain et le féminisme, le lecteur peut commencer par lire le petit recueil d’extraits choisis par Pierre Heudier, avec une excellente préface de Catherine Guimond, édité par Les amis du Musée Alain et de Mortagne, et l’institut Alain du Vésinet : Propos sur l’émancipation de la femme    Il peut être commandé pour 6 euros à amusalain@gmail.com

Sur le sujet « Alain et les femmes », on pourra se reporter à l’article du même titre, sur le présent site, ici.

Crédits photographiques :

1ère, 2ème et 3ème photo: Bibliothèque Nationale de France/Gallica, Luttes pour les droits des femmes au 19ème siècle

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