Le soleil bondit maintenant vers l’équateur, avec une vitesse chaque jour croissante. Loin déjà est l’hiver dormant ; loin encore est l’été dormant ; saisons où le soleil s’attarde. Chaque jour maintenant je l’aperçois plus haut que je n’attendais, étendant de plus en plus vers le nord la courbe de son coucher. Chaque jour me paraît une saison nouvelle, et je me moque de ces flocons, de ce givre, et de ce vent d’est. Rien ne dure, rien n’est stable en ces jours de mars. Nous sommes dans la saison rompue. Les changements du soleil, qui nous crible chaque jour sous un angle plus ouvert, brassent les airs et les eaux; le froid annonce le chaud, le chaud annonce le froid; le bleu se voile; le nuage se fond; la giboulée ruisselle comme de l’or. Vous remarquez là-dessus qu’il n’y a point de giboulée; mais cela même annonce la giboulée. Les temps d’équinoxe sont capricieux, violents, tapageurs. Effet de ce soleil instable ; c’est aux environs de l’équateur, qui est sa position moyenne, qu’il court le plus vite, comme s’il n’y pouvait rester. Remarquez qu’un pendule qui se balance ne va jamais si vite que quand il passe par sa position moyenne, qui est la verticale. Cette image nous aide à comprendre ces puissants coups de râteau dans les nuages, et toutes ces répercussions et déceptions qui font que le printemps est si prompt, si assuré et si trompeur.
La terre est chauffée soudain ; l’air vibre et monte; appel de vent; l’air plus lourd, l’air froid accourt des plaines continentales. Mélange, comme on voit au- dessus de la marmite l’air chaud et l’air froid en volutes, et des surfaces nuageuses à leurs limites. Ainsi des nappes de nuages s’enroulent, se déplient, se replient. Ce sont des pluies aériennes d’abord, bientôt fondues; puis elles s’alourdissent et tombent jusqu’à nous. C’est ainsi que le même soleil fait beau temps et pluie, chaud et froid, par cette cause principalement que le soleil chauffe la terre et que la terre chauffe l’air.
Autre perturbation bientôt ; les glaces du nord fondent et se disloquent; les courants marins nous les apportent ; la mer fait ainsi comme un autre vent. Nous n’avons pas fini d’accuser ce soleil trompeur, qui ne trompe point. Un vieux proverbe dit, et le poète redit : « Qui osera dire que le soleil ment ? » Cette manière de dire, qui étonne d’abord, s’explique par nos printemps batailleurs. Qui ne remarque la même inégalité et le même grain de folie dans nos fêtes ? Nous avons vu Carnaval, la fête qui se moque, qui met un masque, qui tire la langue. La Mi-Carême redouble cette moquerie gaie, pudeur de l’espérance. Le fait est qu’il y a du ridicule dans ce ciel ; ce n’est pas encore le temps de fêter Dieu. Nous remarquons que les anciens peuples, en leurs fêtes, en leurs danses, en leurs cérémonies, naïvement et scrupuleusement, imitent les astres et les saisons; mais nous ne remarquons point que nous faisons de même. Sur la mode des confettis, quelque historien dans mille ans d’ici remarquera qu’elle imite la giboulée de neige, et cet effet de surprise et de comique indignation de celui qui reçoit ce compliment au nez. Offense qui fait rire; sentiments travestis; mensonge du mensonge; feintes de joie et de peine; tel est le cœur printanier. Bien loin de cette confiance, de ce cortège de l’été, où l’on marche sur les fleurs; bien loin de cette autre confiance, confiance d’hiver, confiance de Noël.
Ainsi nous sommes moucherons, arbres, fleurs, oiseaux, bien plus que nous ne croyons. Mais soyez assurés que les anciens peuples ne se croyaient pas moucherons plus que nous. Bien plutôt ils étaient théologiens et politiques, inventant des dieux et des raisons. Et c’est nous qui découvrons qu’ils adoraient le soleil.
9 mars 1928