Philosophe Alain

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Ecologie

La science dompte la nature et la met au service de l’homme ; voilà un thème pour des variations emphatiques et souvent niaises ; et c’est ici qu’il faut faire attention à ce qu’on dit.

Il y a dans la nature des réserves d’énergie inépuisables qui dérivent du mouvement de la terre et de l’action du soleil ; telles sont les marées, les cascades et les vents ; ajoutons à cela la fertilité de la terre qui nous fabrique du blé et des troncs d’arbres, et aussi la fécondité des espèces vivantes, qui nous fabrique des moteurs économiques comme éléphants, chameaux, chevaux. C’est par l’exploitation intelligente de ces forces naturelles que l’homme est roi sur la terre, et roi prudent, mais non pas roi fainéant ; il faut du travail pour élever et dresser des chevaux ; il en faut encore bien plus pour museler le vent, le torrent et la marée ; les turbines ont reçu bien des coups de marteau et s’usent vite. Ces esclaves sont infatigables ; ils rendent sans doute plus qu’on ne leur donne ; mais, si on comptait bien, on verrait que nous leur donnons beaucoup.

Il y a aussi dans la nature d’autres réserves d’énergie qui ne sont pas inépuisables ; telles sont les mines de charbon et de pétrole. Et ici encore il faut beaucoup de travail pour les amener à pied d’œuvre et les employer ; il faut chaudières, tuyaux, leviers, roues. Ici encore l’esclave ne travaille que si le maître lui donne l’exemple. Considérez la journée d’un mécanicien : voilà pourtant un homme qui a dompté la nature ; c’est un roi qui a bien des soucis.

 

 

L’homme a aussi découvert des méthodes pour transformer, concentrer, transporter l’énergie. Il fabrique des acides, des alcools, des éthers, de l’acétylène, des explosifs, tous corps puissants qui rendent en quelques secondes des milliers de journées de travail accumulées ; mais ici l’homme n’arrive à la puissance qu’à force de travail ; et il n’arrive à la vitesse qu’en gâchant du travail. Exemple simple : si vous voulez qu’un train aille deux fois plus vite, vous devrez dépenser quatre fois plus de charbon ; et c’est sans doute pour cela que la guerre nous ruine ; car à la guerre, il n’y a que la vitesse qui compte, à tous les points de vue.

Ces comptes sont terriblement difficiles à établir. Ce n’est pas une raison pour n’y jamais penser et faire sonner dans sa poche une monnaie trompeuse. Beaucoup de gens adorent la « Fée électricité », qui nous transporte, nous éclaire et nous chauffe ; ils oublient la machine à vapeur qui tourne au bout du fil. Si cette machine élevait de l’eau, et si vous faisiez travailler cette eau sous pression, vous n’auriez pas l’idée de dire que cette eau est une Fée, qui travaille pour vous. L’électricité n’est pourtant pas une meilleure servante que l’eau. On ne sait pas ce que c’est que l’électricité ; ce n’est pas une raison pour oublier ce qu’elle coûte !

6 avril 1907

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