La politesse s’apprend comme la danse. Celui qui ne sait pas danser croit que le difficile est de connaître les règles de la danse et d’y conformer ses mouvements ; mais ce n’est que l’extérieur de la chose ; il faut arriver à danser sans raideur, sans trouble, et par conséquent sans peur. De même c’est peu de chose de connaître les règles de la politesse ; et, même si on s’y conforme, on ne se trouve encore qu’au seuil de la politesse. Il faut que les mouvements soient précis, souples, sans raideur ni tremblement ; car le moindre tremblement se communique. Et qu’est-ce qu’une politesse qui inquiète ?
J’ai remarqué souvent un son de voix qui est par lui-même impoli ; un maître de chant dirait que la gorge est serrée et que les épaules ne sont pas assez assouplies. La démarche même des épaules rend impoli un acte poli. Trop de passion ; assurance cherchée ; force rassemblée. Les maîtres d’armes disent toujours : « Trop de force » ; et l’escrime est une sorte de politesse, qui conduit aisément à toute la politesse. Tout ce qui sent le brutal et l’emporté est impoli ; les signes suffisent ; la menace suffit. On pourrait dire que l’impolitesse est toujours une sorte de menace. La grâce féminine se replie alors et cherche protection. Un homme qui tremble, par sa force mal disciplinée, que dira-t-il s’il s’anime et s’emporte ? C’est pourquoi il ne faut point parler fort. Qui voyait Jaurès dans un salon voyait un homme peu soucieux de l’opinion et des usages, et souvent mal cravaté ; mais la voix était toute une politesse, par une douceur chantante où l’oreille ne découvrait aucune force ; chose miraculeuse, car chacun avait souvenir de cette dialectique métallique et de ce rugissement, voix du peuple lion. La force n’est pas contraire à la politesse ; elle l’orne ; c’est puissance sur puissance.
Un homme impoli est encore impoli quand il est seul ; trop de force dans le moindre mouvement. On sent la passion nouée et cette peur de soi qui est timidité. Je me souviens d’avoir entendu un homme timide qui discutait publiquement de grammaire ; son accent était celui de la haine la plus vive. Et, comme les passions se gagnent bien plus vite que les maladies, je ne m’étonne jamais de trouver de la fureur dans les opinions les plus innocentes ; ce n’est souvent qu’une sorte de terreur qui s’accroît par le son même de la voix, et par de vains efforts contre soi-même. Et il se peut que le fanatisme soit d’abord impolitesse ; car ce que l’on exprime, même sans le vouloir, il faut bien qu’à la fin on le ressente. Ainsi le fanatisme serait un fruit de timidité ; une peur de ne pas bien soutenir ce que l’on croit ; enfin, comme la peur n’est guère supportée, une fureur contre soi et contre tous, qui communique une force redoutable aux opinions les plus incertaines. Observez les timides, et comment ils prennent parti, vous connaîtrez que la convulsion est une étrange méthode de penser. Par ce détour on comprend comment une tasse de thé tenue à la main civilise un homme. Le maître d’armes jugeait d’un tireur à la manière de faire tourner une cuiller dans une tasse de café, sans faire un mouvement de trop.
6 janvier 1922