Les cours magistraux sont temps perdu. Les notes prises ne servent jamais. J’ai remarqué qu’à la caserne on n’explique pas seulement en style clair ce que c’est qu’un fusil ; mais chacun est invité à démonter et à remonter le fusil en disant les mêmes mots que le maître ; et celui qui n’aura pas fait et refait, dit et redit, et plus de vingt fois, ne saura pas ce que c’est qu’un fusil ; il aura seulement le souvenir d’avoir entendu un discours de quelqu’un qui savait. On n’apprend pas à dessiner en regardant un professeur qui dessine très bien. On n’apprend pas le piano en écoutant un virtuose. De même, me suis-je dit souvent, on n’apprend pas à écrire et à penser en écoutant un homme qui parle bien et qui pense bien. Il faut essayer, faire, refaire, jusqu’à ce que le métier entre, comme on dit.
Cette patience d’atelier, on ne la trouve point dans nos classes, peut-être parce que le maître s’admire lui-même parlant ; peut-être parce que toute sa carrière dépend de ce talent qu’il montre à parler longtemps tout seul ; vraisemblablement aussi de ce que l’enseignement a pour fin de distinguer quelques sujets d’élite, qui arrivent d’eux-mêmes à singer et à inventer ; car il est vrai que l’on n’a pas de grandes places pour tous. Il faudrait imiter la rude patience de l’instructeur militaire, qui veut que tous sachent démonter et remonter un fusil ; car il ne s’agit pas seulement d’apprendre le métier à deux ou trois instructeurs ; tous doivent le savoir. Si donc on posait en principe que penser, parler et écrire sont les armes de l’homme, au lieu de démonter et remonter devant eux en quelques mois tous les systèmes connus de fusils, je veux dire toutes les manières de parler et de raisonner, on leur mettrait les pièces en mains jusqu’à ce qu’ils sachent remonter d’abord une arme, puis une autre. Et les plus habiles n’y perdraient rien, car, à recommencer plus d’une fois ce qu’ils savent faire, ils se le rendraient familier ; et ce genre de savoir, qui est au bout des doigts, est toujours ce qui manque. Par exemple, si quelqu’un veut écrire des pièces de théâtre, je lui dirai : « Soyez acteur, soyez souffleur, soyez copiste ; occupez, si vous pouvez, toutes les places du métier ; et en même temps écrivez vingt ou trente pièces ; on verra bien ensuite si vous êtes capable d’en écrire une. »
Que serait-ce donc qu’un cours, à ce compte ? Voici ; vous faites trois phrases devant l’auditoire, qui écoute, au lieu d’écrire à toute vitesse. Et chacun doit essayer de reproduire ensuite les trois phrases en belle écriture. Les plus habiles changeront un peu, ce qui est inventer ; les moins doués feront des fautes bien visibles, et bien aisées à corriger. Tous ces devoirs seront vus par le maître, et remis aussitôt en forme. Après cela ils apprendront à intercaler une phrase entre deux autres, ou à compléter les trois phrases par une quatrième ; non sans variations et inventions, dont les meilleures auront l’honneur du tableau noir ; et c’est là que se fera le dernier nettoyage. Et puis encore, tout effacé, il faudra refaire, réciter, varier en récitant, chercher des exemples, changer les exemples. On dira que c’est long ; mais à quoi sert un travail qui ne laisse rien ?
Le grand inconvénient d’une telle méthode c’est qu’étant assez difficile à pratiquer, elle n’en a pas l’air. Le maître n’apportera pas un paquet de copies corrigées et vingt pages de préparations ; il n’arrivera pas fatigué, comme un vrai travailleur. Il improvisera, et, s’il ignore quelque chose, il fera ouvrir le dictionnaire. L’heure passera bien vite, et l’inspecteur trouvera que cet argent est bientôt gagné. Il estime plus le penseur aux nuées, qui tend des fils sur des abîmes, pendant que les jeunes spectateurs admirent l’acrobate.