Le caractère, c’est l’humeur pensée. On peut être brutal par humeur ; ce n’est qu’un mouvement. Le caractère enferme toujours une prétention. Le brutal se pique d’être brutal ; même dans la joie, il fait le bourru. Ce genre de comédie veut un public. Je ne crois point que Robinson, tant qu’il fut seul, eût un caractère, bon ou mauvais. Le caractère se forme par l’opinion. Cela ne veut point dire que le caractère soit toujours moins vif que l’humeur. C’est un jeu parmi les enfants de mettre en colère celui qu’on sait irritable. L’autre comprend très bien le jeu ; il les voit venir d’une lieue ; il serait un grand sage s’il riait ; mais communément il s’irrite de ce qu’on veut l’irriter ; il n’en joue que mieux son personnage.
Un timide n’est pas timide en solitude. Ici toute l’attention se porte à l’opinion. Le timide se maudit lui-même de ce qu’il se fait mal juger ; il se prédit à lui-même qu’il se fera mal juger. Le pire est s’il suppose qu’on le sait timide, que l’on se moque, que l’on lui tend des pièges. Il ne jouera que trop bien son personnage ; il le sait ; il ne pense qu’à cela.

Mentir est de tous ; il ne se peut point qu’on dise toujours tout comme on le sait. Mais il y a un état de menteur où l’on est comme enfermé par le décret d’autrui. L’homme s’y résigne très bien. C’est· une sorte de jeu où tromper est comme une règle. Gobseck mentira en affaires, parlant à des gens qui ont juré de ne le point croire. De même le voleur se trouve excusé par la défiance de tous. On pourrait se fier à un voleur ; mais l’expérience est difficile ; il faut d’abord que l’on ait confiance, sans aucune peur ; et il faut qu’on lui fasse croire que l’on a confiance. Ces miracles, petits ou grands, réussissent par la simplicité. On connaît l’évêque Bienvenu, dans les Misérables ; on dira que ce n’est qu’un roman. Mais j’ai souvenir d’un pharmacien qui employait un repris de justice, maître en toute perfidie, pour aller présenter des notes et recevoir l’argent. Il n’y fut jamais trompé.
Chacun se pique, et voilà presque le tout des caractères. C’est pourquoi il faudrait être sobre de reproches, de moqueries et enfin de jugements. Il est trop clair que l’on peut être méchant, obstiné et même sot par persuasion. Il nous faut crédit. Il y a un mauvais pardon si l’on dit : « Je vous pardonne parce que vous êtes ainsi et que vous n’y pouvez rien ». Le vrai pardon dit au contraire : « Je vous pardonne parce que je sais que vous n’êtes pas ainsi. Ce que vous montrez ce n’est pas vous encore ». Comme on le voit bien dans ces vraies discussions, dont Socrate a laissé le modèle : « Ce que vous dites ce n’est pas encore tout à fait ce que vous pensez ». Et les actions d’un homme sont encore bien plus difficiles à débrouiller que ses paroles. Bref la vraie charité efface le caractère et cherche l’homme. L’humeur retombe ainsi à son niveau. Telles ces lettres distribuées, comme on dit, et remises en leurs casiers, indifférentes, séparées, prêtes pour d’autres mots. L’humeur est bien au-dessous des vices et des vertus.
Libres Propos, Première série, Troisième année, n°26, 5 avril 1924