Une messe de minuit, le 25 décembre, quel sens cela peut-il avoir ? Je pense que c’est une fête du soleil, et une espèce d’adieu à la nuit. C’est l’époque où le soleil cesse de descendre, où il va commencer à remonter chaque jour un peu plus, apportant lumière, chaleur, joie, verdure, moissons. C’est comme une naissance nouvelle du dieu ; et ceux qui savent regarder les étoiles et mesurer ainsi la course du soleil devinent cette naissance avant d’autres. Telle est, je pense, la signification de la marche à l’étoile. Ainsi la Noël est déjà une fête du Printemps.
Il y en a une autre, qui est la fête de Pâques. Elle célèbre aussi le retour du soleil ; seulement elle retarde un peu ; elle attend des effets sensibles, un soleil plus chaud, les premières fleurs. J’en conclus qu’elle a été inventée avant l’autre, en des temps où l’on n’observait pas encore bien les astres, et où l’on n’avait point la notion du solstice d’hiver.
Dans la suite, les astronomes fixèrent avec plus d’exactitude la renaissance du soleil ; d’où une fête nouvelle dont le sens devait rester tout à fait obscur pour le plus grand nombre, car c’est justement au temps où les grands froids commencent qu’il faut saluer le retour du soleil et l’allongement du jour. D’après cela j’appellerais la Noël la Pâque des savants, et la Pâque, la Noël des ignorants.
Tout cela n’est peut-être pas bien d’accord avec ce que savent les historiens ; mais cela importe peu, car les historiens ne savent pas grand chose. Ils ne savent rien de l’invention de la culture du blé, ni de celle du bateau, ni de celle du levier, ni de celle de la roue, ni de celle du feu, ni de celle de la brouette, ni même de celle de la poudre. A vrai dire, la période la plus féconde de l’histoire de l’humanité leur est complètement inconnue.
Dans les premiers récits de l’histoire, l’humanité est déjà vieille ; elle traîne déjà le même bagage qu’aujourd’hui ; elle a les mêmes mécaniques, la même morale et la même religion ; elle n’oublie que ses erreurs. Toutes les coutumes qui ont ainsi résisté à l’épreuve des siècles sont raisonnables. Les théologiens, avec leurs bavardages et leurs abstractions, ne sont pas arrivés à étouffer l’idée vraie qui y est enfermée. Ainsi, jeûne, confession, communion, messe, fête de Noël, fête de Pâques, tout a un sens.
Dans la religion, tout est vrai, excepté le sermon : tout est bon, excepté le prêtre.
29 décembre 1906
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Pour écouter le podcast (20′) sur la place de la fête de Noël dans la philosophie d’Alain
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Ce Propos existe en anglais sur le présent site : A midnight mass