Comment enseigne-t-on l’histoire aux enfants? L’idée qu’ils se font d’un roi assis sur le trône de ses pères est tout à fait abstraite et fausse, ou pour mieux dire vide; cela ressemble beaucoup à un roi de jeu de cartes. S’ils y joignent quelque idée, ce ne peut être que l’idée religieuse d’une puissance indéterminée : le roi ordonne, et les sujets obéissent. Et voilà comment on fait des esprits faux.
Il faudrait ici, comme en toutes choses, aller du connu à l’inconnu; commencer par faire comprendre aux enfants en quoi consiste la puissance du maire de la commune, appuyé sur le Conseil municipal, et en définitive sur le consentement du plus grand nombre. J’avoue que cela exigerait du temps; mais il faut le faire.
Après cela, il faudrait, en remontant de régime en régime, faire comprendre qu’un roi n’est jamais que le représentant d’un certain nombre d’hommes, qui ont intérêt à maintenir sa puissance, image de leur propre puissance. Que, par suite, toutes les décisions que le roi impose aux uns, il les reçoit des autres. Pour les mêmes raisons, qu’un ministre est un homme qui représente un faisceau d’intérêts; et que toute sa puissance vient de ce qu’il comprend bien ces intérêts, et sait prévoir d’avance dans quelle direction le parti le plus fort se portera.
Qu’ainsi le grand ministre ou le grand roi doit être comparé à une girouette intelligente, qui voudrait toujours se tourner du côté où le vent la pousse. Et évidemment, si cette girouette faisait des discours pompeux, les naïfs pourraient bien croire que c’est elle qui fait tourner le vent. Seulement un homme qui sait voir et raisonner, comprend que c’est le vent qui fait tourner la girouette et que les événements conduisent les rois, d’autant mieux qu’ils sont de plus grands rois. Un grand homme d’État est une girouette plus sensible que les autres.
Propos du 9 mars 1907