Philosophe Alain

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Noël

Noël est la fête de l’espérance, et dans la plus longue nuit de l’année, ou presque. La fête de Pâques est barbare à côté. Au temps de Pâques le printemps se montre par des signes que l’esprit le plus grossier peut comprendre. Mais à Noël, qui peut savoir que l’hiver est fini ? À peine il commence ; souvent la neige tombe et la gelée enchaîne les ruisseaux. Ce qui est en perspective, c’est une suite de jours froids et l’aigre bise du nord ou de l’est. Mais la petite espérance, l’espérance enfant, comme chante Péguy, se loge justement en ce creux de l’hiver comme dans un nid et forme son chant printanier au milieu même de la nuit annuelle.

Pâques est la fête païenne, la fête des sens. Noël est la fête de l’esprit. Fête de l’enfant. Chez les anciens la perfection de l’enfant est dans l’homme, comme le plus beau de l’année est le triomphe du printemps. Mais nous autres, fatigués de l’invariable César, infatuation, puissance, richesse, nous adorons ce Jésus en son berceau ; et fort bien nous nommons tous les enfants des Jésus, représentant par là notre invincible espérance. Maternels, non paternels, par cet immense changement qui a voulu et qui veut ranger l’humanité sous la présidence féminine, ou, en d’autres mots, subordonner la politique à la morale.

Que les vieillards aient mis en croix tant de jeunes hommes, et s’en lavent les mains, cela ne termine point notre espérance, car l’esprit sans cesse se lave ; et les Ponce Pilate, quand ils écriraient vingt volumes de justifications, sont tout de même en train de mourir. Comme tout printemps est neuf, tout enfant est neuf. Et il importe beaucoup que nous ne laissions point mettre en croix de nouveau cette jeune pensée ; et que nous ne permettions point que les docteurs, de nouveau, la jugent, la méprisent et la condamnent. Car chacun, s’il ne résiste à l’âge, renie d’année en année ses pensées d’enfant ; mais ceux qui comprennent par les causes la triste sagesse des docteurs feront hommage et crédit à l’enfant dieu, comme firent les rois mages. Mieux, en eux-mêmes, chacun, retrouvant leurs pensées d’enfance et leur jeune espérance, renouvelleront leur foi par serment, réglant leur pensée non sur les arbres dépouillés, mais sur le chant printanier qui s’apprête. Noël ! Noël !

25 décembre 1921

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