Philosophe Alain

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Qu’est ce que la guerre ?

Il n’est pas utile de dépeindre le choléra sous les plus sombres couleurs ; mais il est utile de savoir ce que c’est. De même pour la guerre. Une grande peur ou une grande horreur n’y remédient nullement ; une exacte connaissance de la chose est seule utile. Et, en vue de diriger les réflexions de chacun, je rédige le présent sommaire.

La violence n’est nullement la guerre. Un soldat ne ressemble pas du tout à un bandit qui tue pour s’enrichir. L’idée d’acquérir par la guerre est accessoire et de faible importance ; elle n’aurait aucune puissance sur des hommes qui n’ont jamais pensé à tuer pour voler, comme sont la plupart des citoyens soldats.

La guerre n’est nullement la violence. La violence y survient comme épisode ; mais c’est justement ce qui répugne le plus à ceux qui font la guerre. Et l’ensemble de la guerre est ordonné selon l’obéissance, non selon la violence ; sans haine, sans colère, sans esprit de vengeance.

La guerre est de religion, et de cérémonie. C’est la messe de l’homme, ou la célébration de ce qui est propre à l’homme ; car les animaux les plus féroces songent d’abord à préserver leur vie. Dès que l’homme doute du courage de l’homme, la guerre est attendue. Elle est même espérée naturellement par les plus faibles et par les plus vieux, qui sont naturellement portés à douter de l’espèce. Ainsi les jeunes et les forts sont mis en demeure de fournir la preuve, qui est bonne pour eux-mêmes aussi.

L’art militaire donne quelque sentiment de la cérémonie véritable par des cérémonies préparatoires, qui font déjà sentir à l’homme, par l’action et le spectacle, qu’il est plus courageux qu’il ne croit.

Si quelque peuple doute de son voisin jusqu’à le mépriser en parole et en action, il doit se prêter à l’épreuve. Plus il est supposé courageux et fort, plus l’épreuve est bonne. L’estime pour l’ennemi est le sel de la guerre.

La victoire termine l’épreuve ; mais l’épreuve est bonne aussi pour le vaincu, dès que la guerre a été aussi longue et meurtrière qu’on pouvait l’attendre. Les deux adversaires sont réhabilités.

Par ces raisons tous les hommes dignes du nom d’hommes courent à la guerre au premier appel, quelle que soit leur opinion sur la guerre.

 

Edouart Detaille (1842-1912): Vive l’Empereur! (détail), 1891

 

L’art militaire exerce sa contrainte sur tous. Tous la subissent impatiemment, mais viennent toujours à la célébrer comme un bien, lorsqu’ils songent aux vertus étonnantes et aux actions difficiles où la contrainte les a conduits.

L’honneur est ainsi le véritable ressort des guerres ; ce qui ne laisse qu’un faible espoir aux amis de la paix. Toutefois, comme les guerres ne se produisent que par la double préparation des politiques et des grands chefs, que l’ambition pousse et que la gloire attire, ce serait un important résultat, et peut-être décisif, si le tribunal d’honneur, qui est composé de l’assemblée des femmes, réservait la louange à ceux qui payent directement de leur personne, et considérait comme avilis et méprisables tous ceux, sans exception, qui ont préparé et conduit une guerre sans se porter de leur propre mouvement au poste le plus pénible et le plus dangereux. Et, puisqu’il est évident qu’un chef d’État et qu’un général doivent être ménagers de leur vie, les ambitieux ni les violents ne voudraient plus de ces métiers là.

2 Avril 1921.

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