Philosophe Alain

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Le site de référence sur le philosophe français Emile Chartier, dit Alain (1868-1951), par l’Association des Amis d’Alain, fondée par ses proches après sa mort.

Propos sur la guerre

Edouart Detaille (1842-1912): Vive l’Empereur! (détail), 1891

Alain a été de cette génération qui a traversé trois guerres, sans compter les expéditions coloniales qu’il a critiquées. Son enfance et son adolescence ont été nourries de la volonté de « revanche » sur cette Allemagne qui avait écrasé la France en 1870. Son âge mûr a été a tout jamais traumatisé par la Première Guerre Mondiale, où il a servi comme volontaire dès 1914, engagé à l’âge de 46 ans. Enfin, sa vieillesse se trouve aux prises avec une seconde guerre mondiale qui le laisse d’autant plus désemparé que sa santé décline, que ses amis fuient le nazisme et qu’il perd Marie-Monique Morre-Lambelin, l’amie de quarante ans qui prenait soin de lui et de son œuvre.  Il meurt en 1951 alors que se déploient la guerre « froide » et sa menace atomique, auxquelles il s’intéresse de près.

Cette vie entièrement passée sous la guerre ou la menace de guerre est vouée à la défense de la paix. Avant 1914, il plaide l’apaisement. Après 1918, il critique brutalement la politique d’écrasement et d’humiliation de l’Allemagne qui ne peut conduire qu’à un désir de revanche. Ces positions s’enracinent dans une philosophie qui le pousse à défendre la paix et à combattre les idéologies militaristes de toutes sortes, notamment celles, jumelles, du fascisme et du nazisme.

Pour cette raison, la question de la guerre est indissociable de la pensée philosophique d’Alain du droit, de la société, et de son anthropologie qui considère l’homme comme un « animal » qui devient aisément « fanatique ».

Folles guerres

Comment les choses se passent, en ces folles guerres, chacun le devine sans peine. Une première bataille dont les causes n’importent guère ; des vaincus, qui se croient méprisés ; des vainqueurs qui se savent menacés. Ces opinions sont dans les regards, d’abord supposées, et aussitôt vraies. Les passions ont

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Résistance et obéissance

Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre; par la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée à toute minute, n’enferme aucune liberté;

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Barbarie

J’en entends qui disent : « Barbarie. Sauvagerie. Ces peuples se révèlent tels qu’ils sont ». Ils me font penser à ceux qui jugent inhumain de combattre avec des lance-flammes ou des gaz empoisonnés. C’est qu’ils se font de la guerre une idée toute romantique. La guerre n’est jamais belle ; la guerre tue

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Je suis né simple soldat

Je suis né simple soldat. Les curés, qui m’enseignèrent ce qu’ils savaient et que je sus promptement aussi bien qu’eux, ne s’y trompèrent jamais ; et ils considéraient mes étonnantes versions à peu près comme nous faisons pour les nids d’oiseaux ou l’hydrographie du castor ; cela étonne en d’humbles bêtes. Un

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Qu’est ce que la guerre ?

Il n’est pas utile de dépeindre le choléra sous les plus sombres couleurs ; mais il est utile de savoir ce que c’est. De même pour la guerre. Une grande peur ou une grande horreur n’y remédient nullement ; une exacte connaissance de la chose est seule utile. Et, en vue de

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Guerre sans visage

« Circulaire recommandée. Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août. » Je ne crois pas que ceux qui ont lu cette affiche blanche en oublient jamais le contenu ; mais la forme même de cet ordre effrayant mérite attention. L’Administration y a mis sa marque. L’État

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Noël d’artilleur

J’ai souvenir d’un Noël d’artilleurs. C’était le premier Noël de la guerre ; il n’était pas question encore de l’orange, ni du cigare, ni du quart de vin. Toutefois l’argent ne nous manquait pas, et nous avions liaison avec le Quartier Général par des estafettes qui venaient observer chez nous,

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« La paix par le droit »

Celui qui a proposé cette formule connue : « la paix par le droit » a fait tenir, il me semble, beaucoup d’erreurs en peu de mots. Là-dessus j’ai d’abord réfléchi longtemps, sans beaucoup de suite et sans jamais rien découvrir ; et puis, quand la guerre m’a tenu sur

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Fanatisme

L’homme est naturellement un être qui s’intéresse à autre chose qu’à lui-même. Et cela vient de ce qu’il s’intéresse à lui-même pensant. C’est une immense fonction que de penser, immense et tyrannique. Aussi toute discussion est un commencement de guerre, et l’homme se jette lui-même en gage pour un démenti.

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Le ressort des guerres, c’est l’honneur

Le ressort des guerres, c’est l’honneur. Quand on supposerait des mercenaires mis en mouvement par l’espoir d’un grand pillage, ils ne tiendraient pas longtemps en nos batailles obstinées, presque immobiles, et si infailliblement meurtrières. Nos guerres sont des affaires d’honneur. Il s’agit pour l’homme libre de prouver que la plus

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Mensonges militaires

À la guerre, rien de ce qui est dit ou écrit n’est vrai. J’étais neuf dans le métier lorsque je répondis par téléphone au chef lointain qui demandait : « Où sont les officiers », qu’ils étaient à table ; et c’était vrai. Mais le capitaine me dit, du même

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L’esprit n’a point de pitié 

La pitié est du corps, non de l’esprit. Au niveau de la fureur aveugle et de la crainte. Ces tumultes se contrarient assez bien pour que la paix soit ; les crimes et les supplices sont des accidents. Mais l’esprit est redoutable. Un homme qui pense est aussitôt législateur, juge

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Les fruits de la confiance

La cause principale qui fait que la paix est une œuvre difficile, c’est qu’on n’a jamais vu la bonne foi répondre à la défiance. L’homme est ainsi fait qu’il rend en même monnaie, et se croit assez honnête s’il donne justement ce que l’autre attend. C’est par là que des

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Notre premier besoin

Le sociologue me dit : « On serait tenté d’expliquer toute l’organisation sociale par le besoin de manger et de se vêtir, l’Économique dominant et expliquant alors tout le reste; seulement il est probable que le besoin d’organisation est antérieur au besoin de manger. On connaît des peuplades heureuses qui n’ont

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Le spectacle humain 

Ce n’est pas peu de chose qu’être spectateur. Mais aussi ce n’est pas facile. Le spectacle humain est à ce point émou­vant, et nous sommes si bons juges de l’injustice et des passions d’autrui, qu’aussitôt nous voulons entrer dans le drame; et cette impatience d’agir, mêlée de la peur qu’il

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L’enivrement de sa force

Quand on me dit que les intérêts sont la cause principale des guerres, ou, en langage plus ambitieux, que ce sont les forces de l’économique qui poussent les peuples les uns contre les autres, je reconnais aisément une idée qui court partout; c’est comme une monnaie usée par l’échange et

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La résolution d’obéir 

Séverine propose la grève aux armées. Il faut dominer les sentiments généreux aussi, et penser juste, autant qu’on pourra. Certes, si nous avions en France quelques milliers de femmes qui ressemblent à celle-là, aucune guerre ne serait possible. Mais enfin les femmes de ce modèle se sont comptées en l’an

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L’artiste et le guerrier

La guerre était finie à peine qu’ils coururent à la musique. Je les vois encore au Trocadéro, visages marqués et ravagés. Ils venaient là pour apprendre de nouveau à vivre; et moi de même. Ce que fut la vie intérieure, pendant ces années tragiques, nul ne le saura assez. Les

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Exécutions

Nous remarquâmes, un jour, près du cantonnement, deux croix de bois, ornées de fleurs champêtres, et sur lesquelles quelque pieuse main avait effacé les trois mots : Mort sans honneur. Voici ce que l’on racontait. Deux fantassins disparurent un soir ; et il résulta de l’enquête que ces fantassins s’étaient volontairement rendus

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Le massacre des meilleurs

Le massacre des meilleurs; j’y insiste. Considérez tout à nu cet effet de la guerre, et même de la victoire. L’honneur est sauf, mais les plus honorables sont morts. Toute la générosité est bue par la terre. Car c’est la vanité sou­ vent qui crie et qui pousse à la

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Le manteau d’Agamemnon

Lucrèce est scandaleux. « Tu sais, dit-il, comment les premiers des Grecs se salirent du sang d’Iphigénie. Tu vois cette fille aux genoux tremblants, parée, non point pour ses noces; cette chaste fille violée par le couteau. Et pourquoi ? Pour obtenir un vent favorable. Voilà les fruits de la religion. »

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La colère d’Achille

Ayant parcouru d’un seul mouvement ce grand paysage de l’Iliade, j’en comprends soudain le premier mot : « c’est la colère que tu vas chanter, Muse. » La colère d’Achille, on le sait, éminente et rebondissante, effrayante image de ce que nos ennemis devraient attendre, si les forces répondaient aux secrets mouvements.

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La grande amitié

Nous disons : « paresseux, menteur, voleur, traître, assassin » suivant les cas. Epictète ne dit qu’un seul mot : « Esclave ». Un seul mot pour tous ces hommes ; un même jugement pour toutes ces fautes. C’est piquer l’homme au bon endroit. Car tout homme méprise aisément ce

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Le nouveau Dieu

Proudhon disait : « Quand on me parle de Dieu, c’est qu’on en veut à ma liberté ou à ma bourse ». Je pourrais dire, et peut-être avec plus de raison, que, quand on me parle de la patrie, c’est qu’on en veut à ma liberté et à ma vie. Il n’y a

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Maîtres et esclaves

Sur l’aveuglement du haut commandement militaire, d’étonnants récits ont été produits à la tribune. Que le subalterne qui vient troubler les conceptions directrices en rapportant ce qu’il a vu soit reçu sans faveur, cela est déjà assez fort. Ce qui est beau c’est que le même subalterne, même quand il

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En tous pays le même homme

Que nos soldats, nos infirmiers, nos médecins se soient portés aussitôt vers les débris de l’usine allemande et du village allemand, afin de guérir toute plaie et de conserver toute vie humaine, cela est universellement approuvé. On se souvient qu’au puits de Courrières une équipe allemande accourut, pourvue d’un admirable

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Le règne des sots

Il fut un temps où la Ligue civique faisait afficher sur tous les murs une sorte de maxime juridique. « On ne discute pas avec des bandits ; on les juge ». J’ai pensé plus d’une fois à compléter cette affiche par une autre, qui aurait rappelé que « Nul n’est juge en sa

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