Il faut être déjà avancé dans l’astronomie pour célébrer dans la nuit de l’année la naissance du Sauveur ; la Noël n’appartient pas à l’enfance humaine. Au contraire, la fête de Pâques fut toujours et partout célébrée. Sous tant de noms, d’Adonis, d’Osiris, de Dionysos, de Proserpine, qui sont la même chose que le Mai, la Dame de Mai, Jacques le Vert, et tant d’autres dieux agrestes, il faut au temps des primevères célébrer la résurrection : cette métaphore nous est jetée au visage. Et, par contraste, ces retours du froid sont des flèches de passion. Au matin, après une nuit de glace, la mort est énergiquement affirmée ; les tendres pousses sont réduites à la couleur de la terre et des arbres nus ; quelque chose est consommé. Espoirs trompés, pénitence, et quelquefois révolte, comme en cette fête des Rameaux où la foule porte des branches de buis et de sapin ; cette forte mimique entrelace l’espoir, la déception et l’impatience en couronne printanière. Naïf poème, sans aucune faute.
Nous croyons faire des métaphores, mais bien plutôt nous les défaisons. De ce premier état de la pensée, où les choses elles-mêmes font nos danses, nos chants et nos poèmes, tous les arts viennent porter témoignage, chacun selon son rang ; mais le langage commun est sans doute l’œuvre la plus étonnante. J’ai mis un long temps à reconnaître la parenté que le langage signifie entre l’homme cultivé et le culte ; mais que tout culte soit frère de culture au sens ordinaire, cela passe toute profondeur. On devine des temps anciens où la mimique pascale était la même chose que le travail. Qu’une chose en signifie une autre, cela doit être expliqué par la structure du corps humain, agissant selon les choses, mais surtout selon sa propre forme, objet aussi pour chacun dans la commune danse. Ainsi les dieux dansèrent d’abord. Et par ce détour, les animaux qui miment aussi selon leur corps les fêtes de nature, devaient être objets aussi de ce culte des signes, comme on le vit aux temps passés. Il n’y eut point d’abord de différence entre le culte et l’élevage. La religion fut donc agreste, et le moindre ornement de nos temples en témoigne encore.
Cet accord sibyllin, comme parle Hegel, entre l’homme et la nature, est inverse par soi ; ivresse, encore un mot à sens double que les poètes reconnaissent ; et dans l’orgiaque il y a ce double sens aussi, et la colère au fond. D’après ces vues on comprend les Bacchantes, et les mystères de Cérès Éleusine. Le fanatisme est aussi ancien que la danse. Et il se peut bien que l’homme signe ait été anciennement sacrifié, aux jours où l’on fêtait ensemble la mort et la résurrection de toutes choses. Frazer sait bien dire que, dans les rites primitifs, la victime était le dieu lui-même, ce qui nous approche de notre théologie.
Au temps de Chateaubriand, les apologistes essayaient encore de prouver les dogmes catholiques par cet accord et ce pressentiment des religions sur toute la terre ; mais en ce sens toutes les religions se trouvent ensemble prouvées, par cet accord, et toutes vraies, comme il est évident, puisqu’elles s’expliquent enfin par la structure du corps humain et par les rapports de la vie humaine à la vie planétaire. La première pensée fut l’art, la première réflexion sur l’art fut religion, la réflexion sur la religion fut philosophie, et la science enfin fut réflexion sur la philosophie même, ce qui explique assez nos idées, toutes métaphoriques, toutes abstractions de cérémonie. Il n’y a que Hegel qui ait pris et tenu ce parti de prendre les religions comme des produits de nature, ce qui trouble profondément la progression spontanée qui nous porte à réfléchir sur la philosophie même. La religion subsiste pourtant dans ce mouvement de renoncer à sa propre pensée. Cette destruction est pascale.
17 avril 1922